Cinéma

« Rocketman », « Bohemian Rhapsody » et « Mein Grab » – ébauche d’une théorie du biopic comme maquette

Critique

Théâtre de boulevard empêtré dans les perruques trop blondes et les mauvais faux nez jusqu’à la ringardise et, ce, dans la perspective de rendre hommage à des morts (parfois vivants) qui n’en n’ont pas besoin, le biopic a de quoi irriter cinéphiles et mélomanes. Il n’empêche qu’à l’ère des selfies et des tutoriels une certaine catharsis – au second degré – fonctionne lorsque l’œuvre de faussaire est assumée.

 

Arrivé au milieu de son âge, un soir qu’il s’ennuie, un critique décide de streamer Bohemian Rhapsody, le biopic de Freddie Mercury.

Voici ce qu’il note en vrac dans sa tête, au fur et à mesure que le film avance :

– l’usage de la prothèse est fascinant. Le biopic c’est avant tout le déguisement, la moumoute, le faux nez, voire ici des espèces de mandibules implantées dans les joues de l’acteur Rami Malek, qui lui donnent l’air d’un insecte ou d’un monstre. Avec ses yeux globuleux, l’ensemble de son visage protubère. Il ne ressemble pas du tout à Mercury. Éventuellement à l’idée qu’on se fait de Mercury, ce qui est sans doute plus intéressant. Donc un masque de tragédie grecque, ou un spectacle de marionnettes. Un truc en avant, bigger than life.

– tout est en carton pâte, ce qui est raccord avec la surdétermination des costumes et du maquillage. L’abus du trucage numérique donne l’impression de regarder un dessin animé, ou mieux, un film de superhéros.

– le superhéros, comme on sait, est un avatar du corps adolescent masculin qui subit des transformations : une force nouvelle difficile à maîtriser et qui fait fuir les filles (du coup Batman on est obligé de se taper Robin). Or, l’histoire de toute rock star est celle du passage à une autre nature (Ziggy Stardust). Donc le biopic rock est une histoire de superhéros. Rien à voir avec une fiction réaliste, inutile de râler que c’est historiquement faux.

– d’une certaine façon, ce qu’on voit dans un biopic, c’est une maquette. Non pas au sens de miniature mais de modèle d’une chose à construire. Aller voir du côté de Thomas Schütte si l’on peut tirer quelque chose de cette impression.

– dans la scène finale reconstituée du Live Aid, ce sont les images d’époque de Mercury qu’on voit sur l’écran vidéo latéral de la scène, et non celles de Rami Malek.

Du coup, ayant l’impression de tenir le début d’une demi-idée, le critique se rend le lendemain au cinéma pour voir Rocketman, le biopic d’Elton John subventionné par lui


[1] Molière, L’avare, III, 5: « Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d’eux-mêmes, et qu’il n’est pas besoin de lunettes pour les apercevoir : mais enfin c’est avec des lunettes qu’on observe les astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. »

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] Molière, L’avare, III, 5: « Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d’eux-mêmes, et qu’il n’est pas besoin de lunettes pour les apercevoir : mais enfin c’est avec des lunettes qu’on observe les astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. »