Les photos-textes de Wright Morris – à propos de la rétrospective «L’essence du visible»
Une chaise posée contre un mur, à côté d’une porte, un bout de bois usé, un tiroir de commode rempli de menus objets, une voiture garée devant une grange en bois, une église dressée vers le ciel nuageux, un silo à grains, une bouilloire sur un fourneau, des fourchettes et des couteaux en métal argenté posés sur une feuille de journal : les objets qui peuplent les images de Wright Morris n’expriment en apparence que la pure matérialité de leur condition. Ils existent là, simplement, occupant l’espace comme s’ils attendaient qu’un regard subjectif vienne les délivrer du silence de leur existence objective.
« L’essence du visible » ; le titre de la rétrospective inédite que la Fondation Henri Cartier-Bresson consacre à l’œuvre de Wright Morris (1910-1998), jamais montrée en France, négligée par l’histoire académique de la photographie, traduit le projet à la fois insensé et logique d’un écrivain devenu photographe, le temps de quelques années à partir de 1940 (il arrêta début des années 1950). Comme si les mots du romancier appelaient les images à la rescousse pour les aider à mieux décrire le réel. Ou plutôt pour lui conférer une dimension supplémentaire, partant d’un principe éprouvé par certains écrivains et certains photographes : la nécessité d’une tension entre l’écrit et l’image afin de saisir pleinement ce qui dans la vie échappe toujours un peu, à la fois au texte et à la représentation visuelle.
« À force d’écrire, de faire l’effort de visualiser, je devins photographe, et à force de pratiquer la photographie, je devins un peu plus écrivain », confiait Wright Morris pour expliciter sa démarche consistant à mêler photographies et textes, illustrée par quelques livres aujourd’hui cultes, baptisés par lui « photo-textes », – The Inhabitants (1946), The Home Place (1947), God’s Country and my People (1968). Être à la fois écrivain et photographe exige de ne jamais confondre deux gestes irréductibles quand bien même ils tendent vers un même horizon. Jam