La domination sans émancipation – sur Conversations avec Bourdieu de Michael Burawoy

Au sein de la littérature abondante en langue anglaise sur Pierre Bourdieu, le récent livre de Michael Burawoy tient une place à part, tant il se fonde sur une connaissance de première main qui fait souvent défaut aussi bien que sur un souci constant de confronter l’œuvre avec elle-même et parfois contre elle-même.
Il faut savoir gré à la traductrice et aux quatre traducteurs d’avoir offert au public français l’occasion de reprendre à nouveaux frais la réflexion sur le sociologue le plus reconnu de la seconde moitié du XXe siècle. Son œuvre n’a pas toujours eu les commentateurs qu’elle mérite, lesquels sont divisés entre les hagiographes et les démolisseurs. Dans une substantielle introduction, « les angles morts de Pierre Bourdieu », les traducteurs permettent de mieux comprendre la démarche du sociologue français, à partir d’un point de vue proche de celui de Burawoy, qui est celui d’une sociologie marxiste indissociable d’un projet d’émancipation. Que l’on partage ou non leur position importe peu : les questions que suscite l’ouvrage sont essentielles pour la compréhension de la démarche politique de l’auteur, dont l’affirmation a été progressive, mais aussi pour sa construction conceptuelle, dont l’ambition est de produire une « sociologie générale », comme l’indiquait l’intitulé de sa chaire au Collège de France.
Le fil conducteur de l’ouvrage est clair : que vaut l’œuvre de Bourdieu pour un marxiste, quelle peut être sa contribution à une problématique de l’émancipation ? L’analyse est sans concession mais elle obéit néanmoins au principe de charité : en prenant vraiment au sérieux la critique que le sociologue français fait du néo-libéralisme, il s’agit de mettre ou jour les éléments de l’œuvre ou de la démarche qui peuvent être compatibles avec la grille d’analyse marxiste, ou, encore mieux, être susceptibles de l’enrichir.
S’il n’a jamais été marxiste et ne s’en est pas caché, et s’il a souvent été vertement critiqué par les marxistes les plus orthodoxes,