Rediffusion

L’épure d’une tragi-comédie familiale – à propos des Inéquitables de Philippe Djian

Critique Littéraire

Sexe, violences et tourmentes familiales sont au cœur du dernier roman aux allures de polar de Philippe Djian. L’écriture y est aussi intransigeante avec la langue qu’elle rend vive, qu’avec les personnages qu’elle malmène sur un fil pour les laisser pencher du côté des ténèbres. Mais sans gratuité, car cette langue aiguisée rend compte d’un regard contemporain en empathie avec le monde. Rediffusion du 24 avril 2019.

C’est l’hôpital, ici : une main en silicone, un moignon de bras, une couronne qui jaillit d’une mâchoire, une canne pour claudiquer en paix et des êtres qui crachent et s’épongent, fuient de tous les côtés et pissent quantité de fluides. Surtout, les personnages des Inéquitables, le nouveau roman de Philippe Djian, trébuchent, c’est-à-dire ratent des occasions de s’épargner des difficultés, souffrent, se trompent mais se relèvent miraculeusement. Ces hommes et ces femmes démantibulés ont un côté Pierre Richard, l’acteur qui se prend les portes vitrées dans la figure.

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À lire, à voir, ce ballet d’acrobaties est comique et poignant à la fois, car bien que le sentimentalisme soit étranger à Philippe Djian, les affects tapissent Les Inéquitables. Blottis entre les lignes, ils attendent leur heure et montent progressivement vers le lecteur, sans que la prose merveilleusement épurée ne prenne un gramme de gras pour autant. Jamais, peut-être, l’auteur septuagénaire de 37,2 le matin, qui continue de publier un roman par an, n’a aiguisé à ce point la musicalité et la scansion de ses dialogues, économes en ponctuation et en signes typographiques ; tant de qualités, parmi d’autres, qui font sa singularité et son talent.

Djian écrit cut. Première phrase des Inéquitables : « Mais il voulait qu’elle enlève ses mains, qu’elle cesse de le toucher, qu’elle s’écarte, disparaisse (…) Prends mon mouchoir, dit-elle ». S’agit-il d’une étreinte qui tourne mal ? Non, Marc saigne parce que Serge vient de le tabasser. Serge flirtait en boîte de nuit avec Diana, celle qui tend son mouchoir. Marc, le beau-frère de Diana, n’a pas supporté ce badinage. Depuis la mort de Patrick, le mari de Diana et le frère de Marc, ce dernier sert de chaperon à sa belle-sœur, une quinquagénaire rousse qui ballade un sexy assumé : « La plupart de leurs sorties se terminaient par des coups de poing dans la gueule, il y avait toujours un type qui la voulait, un type qui devenait fou après avoir posé


Virginie Bloch-Lainé

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