Photographie

Une vie à l’encre sympathique – sur l’exposition Adolfo Kaminsky

critique

Faussaire génial, autodidacte, qui inventa des moyens quasi industriels de fabrication de faux papiers dès 1943, puis jusque dans les années 1970, Adolfo Kaminsky a sauvé des juifs, des porteurs de valises, et des militants de divers mouvements de libération nationale. On connaît moins, voire pas, l’œuvre photographique de cet homme profondément humaniste, et aujourd’hui âgé de 94 ans. Identité et falsification d’identité, vérité et secret, clandestinité et lumière : la vie mais aussi les photos de Kaminsky en témoignent. L’exposition au Musée d’art et d’histoire du judaïsme et le livre collectif Changer la donne lui rendent hommage.

L’exposition que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre à Adolfo Kaminsky est un diptyque. Installée au sous-sol, un lieu qui sied à ce prince de la clandestinité, elle comprend deux volets. Le premier présente le travail de faussaire de Kaminsky, sa vie d’homme de l’ombre et du silence. Le second dévoile son œuvre de photographe, ses habits de lumière, rarement montrés jusqu’ici : deux salles de photos noir et blanc que Kaminsky a prises dehors, à l’air libre, au moment même où il œuvrait dans le secret, entre 1944 et 1976.

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Dans le livre qu’elle a écrit sur son père (Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire), Sarah Kaminsky avoue qu’elle a compris très tard quelle avait été son activité principale. C’est peu surprenant. Il était contrefacteur, fabriquant de faux papiers, un savoir-faire qu’il s’est découvert jeune, par hasard mais en pleine Seconde Guerre mondiale, quand l’urgence à sauver des vies s’imposait. « Faussaire », « contrefacteur » : attribués à Kaminsky, ces mots revêtent un nouveau sens. Il suffit d’ouvrir le Larousse et de lire la définition rigoriste de « faussaire », un terme qui fleure la prévarication. « Personne qui commet une atteinte à la confiance publique en réalisant un faux », lit-on. Les termes juridiques sont frappants – atteinte, commet, publique : ils sous-entendent l’illégalité, le délit et la trahison.

Quel paradoxe, car la vie d’Adolfo Kaminsky fut en tout point contraire : elle est saisissante par l’évidence de son engagement et stupéfiante pour qui songe à l’absolue confiance de ceux qui ont été les premiers à remettre leur destin entre ses mains – au sens propre –, dès 1943 : des personnes condamnées à la déportation en raison de leur judéité. Biffer, tricher, mentir, inventer un nom : que reste-t-il de la légalité, quelle vérité, quand il s’agit de secourir un être humain ? C’est toute une réflexion sur la notion de « droit » et, partant, celle de « devoir », que l’on peut engager à l’occasion de cette expositi


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice