Littérature

Extension du domaine de l’enquête – à propos d’ Un monde sans rivage d’Hélène Gaudy

Essayiste

Avec Un monde sans rivage, Hélène Gaudy se lance dans une nouvelle enquête littéraire, sur les traces de Salomon August Andrée, Knut Fraenkel et Nils Strindberg qui tentèrent d’atteindre le pôle Nord en ballon en 1897. L’ambition de la romancière s’inscrit dans un courant, puissant ces dernières années, qui ne cherche pas à établir un rigoureux savoir scientifique à travers la littérature, mais à transcrire l’expérience souvent indisciplinée, séditieuse et critique de celui ou celle qui cherche à en savoir plus sur le monde.

C’est par un saisissement qu’Hélène Gaudy ouvre son récent Un monde sans rivage : le saisissement ressenti au musée Louisiana de Copenhague face à des images. Ces photographies qui figent la spectatrice et rompent le cours ordinaire, ce sont celles que l’on retrouva trente ans après qu’en 1897 Salomon August Andrée, Knut Fraenkel et Nils Strindberg échouèrent à atteindre le pôle Nord en ballon. Des images vieilles de plus de cent ans viennent l’atteindre et sont l’amorce d’un récit. Une énigme ou un mystère, et qui enjoignent l’écrivaine à enquêter.

Pour retracer une expédition qui a très vite tourné au désastre, Hélène Gaudy compulse les archives et compose son récit comme un dispositif documentaire, entrelaçant bribes du journal de bord, description des photographies du voyage et parallèles avec d’autres tentatives aussi sidérantes. La fiction reste en permanence sous contrôle : à peine quelques élans de l’imagination pour tenter de comprendre avec empathie les motivations de ces trois dandys perdus au milieu des ours, ne renonçant pas aux bouteilles de champagne quand il faudrait voyager léger pour survivre à la banquise.

Si Hélène Gaudy enquête sur ces trois explorateurs dans le récent Un monde sans rivage, elle avait déjà arpenté un autre terrain d’investigation, emboîtant le pas à W.G. Sebald, dans Une île, une forteresse (2016) : la ville de Terezín. Entre parcours d’espace, collecte de témoignages et stratification de réminiscences littéraires, le livre interrogeait la persistance d’une mémoire du camp, en confrontant pratiques historiographiques, muséification de la ville et dynamiques d’une mémoire vive, pour se demander comment vivre aujourd’hui dans un tel lieu, quelle identité se composer dans cet espace traversé de hantises et de faux-semblants qu’est Terezín, présenté par les nazis comme un ghetto modèle.

Les pratiques contemporaines de l’enquête renouent, après les modernismes, avec l’ambition de saisir le réel de Balzac, Sue ou Zola.

Les enquêtes d


Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble

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