Littérature

L’analyse, création en soi : à propos de deux livres de Pierre Sky et Sébastien Smirou

Philosophe, historien des sciences et psychanalyste

Dans deux livres mystérieusement entrelacés, le poète et psychanalyste Sébastien Smirou invente une forme inédite de littérature « clinique » du plus intime mais aussi du plus populaire et du plus collectif dans notre culture. Entraînant le lecteur dans un vertige croissant, et qui pour finir l’atteint lui-même, son enquête sur un patient suicidé passionné de chansons et de cinéma ouvre une fenêtre aujourd’hui indispensable sur ce qui passe, non sur le divan, mais dans le fauteuil.

Si la psychanalyse, qui a fait longtemps partie intégrante du paysage intellectuel français, va si mal – si mal, en fait, que même ses ennemis ne suscitent plus que perplexité et indifférence –, il faut d’abord en chercher la cause dans ceci que plus personne ne sait ce que font, au juste, les psychanalystes et leurs patients. Le penchant français à l’intellectualité dogmatique (moins la rigueur savante) et la croyance dans la supériorité de la haute théorie (dont, comme chacun sait, tout découle) aboutit désormais à ce que même les meilleures volontés, les jeunes gens les plus curieux, voire les individus qui en auraient le plus l’usage n’aient pas la moindre idée de ce à quoi ressemble aujourd’hui une cure psychanalytique.

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Les concepts admirables et les spéculations profondes auxquelles elle donne lieu chez Machin Chose, aucun souci. À la rigueur, certains de ses effets thérapeutiques, ou existentiels. Mais le sac et le ressac quotidien des mots, des mouvements d’humeur, des impasses et des retours en arrière, des événements imprévus et des mutations lentes et quasi invisibles qui révolutionnent mystérieusement des vies, bref, ce que la psychanalyse a de captivant, il n’y faut pas compter. Ou alors, n’est-ce pas, lisez donc les « grands cas » de Freud – comme si nous étions tous et pour toujours des hystériques viennoises.

Une autre caractéristique de la situation, c’est à quel point elle est unilatérale : le peu de descriptions qui circulent (mais c’est peut-être une caractéristique française) se focalise sur les « effets » de la cure sur le patient. Parfois, mais encore plus rarement, et en général afin de fournir un gage suspect d’« authenticité », ce que la cure fait à l’analyste est fugitivement évoqué. Disons-le : ce qui agonise sous nos yeux, c’est, sans doute, une expérience paralysée dans son arrogance, suspectée (souvent à bon droit) d’être pseudo-savante, mais qui surtout s’automutile presque à chaque fois dans ses manifestations publiques en


[1]. Le lecteur amateur de rebondissements visionnera l’entretien de Sébastien Smirou avec, assez bizarrement, un autre Sébastien, mais Rongier, sur remue.net.

Pierre-Henri Castel

Philosophe, historien des sciences et psychanalyste, Directeur de recherche au CNRS

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Notes

[1]. Le lecteur amateur de rebondissements visionnera l’entretien de Sébastien Smirou avec, assez bizarrement, un autre Sébastien, mais Rongier, sur remue.net.