L’ingénu et le panier de crabe – à propos de Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz
Il n’est pas toujours gratifiant d’être le « héros » d’un roman de Jean Echenoz. On n’est pas forcément avantagé par la nature ni même par ses parents. Ceux de Gérard Fulmard lui ont légué prénom et patronyme dont la rime n’est pas la plus élégante. Quant au physique : « Taille : 1,68 m. Poids : 89 kg. (…) Je ressemble à n’importe qui en moins bien ». Ça vous pose un homme. Ancien steward d’une compagnie aérienne remercié pour avoir trempé dans une histoire pas nette, sans ressources, Fulmard habite le petit appartement de sa mère décédée, rue Erlanger, à Paris.
On sait l’importance des décors, chez Jean Echenoz. Ou plus exactement, des paysages, souvent urbains. À l’inverse de ce que seraient des décors, ces paysages n’ont pas une fonction passive. Ils existent avec force, sont en interaction avec les personnages, sont eux-mêmes en soi des personnages. Par exemple, la rue Erlanger. Elle a beau être située dans le XVIème arrondissement de Paris, elle n’est pas aussi fastueuse que ses voisines.
Sans grande histoire, elle n’a connu que quelques faits divers – le suicide de Mike Brant, la mise au congélateur des morceaux du corps de Renée Hartevelt par un japonais anthropophage. Anecdotes rapportées dans Vie de Gérard Fulmard, en marge de l’intrigue principale. Mais l’histoire et le caractère de cette rue, avec sa boutique d’aquabiking individuel et son bar à ongles, sont en harmonie avec l’horizon peu flamboyant du protagoniste.
L’événement qui ouvre le roman aurait pu mettre en lumière cette artère, mais c’est à « trois rues de là » que cela se passe : un gros fragment de satellite hors d’usage, ayant décroché de son orbite, s’est écrasé sur un centre commercial. Pour ce qui concerne directement notre « héros », le plus important n’est pas cette chute mais un dommage collatéral : un gros boulon violemment projeté a fusé par la fenêtre d’un appartement et tué son occupant ; celui-ci était le propriétaire du logement de Fulmard, qui est donc tranquille pour