En lisant du Lindon – à propos de Moi, qui que je sois
J’ai lu le livre de Mathieu Lindon en entier. Pas en entier-entier, quand même, il ne faut rien exagérer, plutôt en entier comme Proust, en sautant des pages quand c’était trop bien parce que ça m’énervait, tant de prouesse, moi qui n’ai jamais su prendre la plume fictive que pour me ficher de la littérature et écrire, en substance délayée : « merde à celui qui le lira » – et donc ça ne plaisait pas. J’avais une amie dessinatrice qui plaisantait d’une autre, jadis : « Elle a trop de talent, il faut lui couper les doigts ». Quelques années après, elle a arrêté de dessiner.
Je n’ai pas lu le dernier Lindon en entier-entier tout en le lisant d’un bout à l’autre comme on fait avec les romans de Blanchot, parce que je m’arrêtais régulièrement pour reprendre contact avec la vie réelle (la vaisselle, Tik Tok, les copies à corriger, des courriers comminatoires de débiteurs adressés à mon frère mort comme s’il était vivant, etc.) et voir l’effet que cela faisait. Et donc, je laissais infuser le livre de Mathieu Lindon dans la vaisselle, Tik Tok, les copies et mon frère mort, j’en sirotais des gorgées, je prenais une bolée d’apnée par moment, j’y restais quelques heures ou dix minutes avant de me lever pour éteindre la cafetière.
Je me piquais au livre de Mathieu Lindon tant et si bien qu’il m’était impossible de le lire en entier, puisque chaque fix provoquait une narcose du présent, et l’ensemble (moi-le livre-la chambre de Proust) était plein de trous.
J’ai failli ne pas lire en entier le livre de Mathieu Lindon parce que j’ai toujours un peu de mal, quand une énigme est au cœur du moteur, fût-il immobile, à finir car après c’est triste, il n’y a plus rien. Il faudrait que cela ne termine jamais. Et puis j’ai toujours une curiosité qui me semble obscène à voir comment l’auteur.e va refermer son texte.
Commencer, c’est facile, c’est un coup de force sui generis, mais pour finir, il faut une nécessité, denrée rare depuis assez longtemps un peu partout sauf si l&rs