(Re)voir au temps du confinement

Réflexions sur deux conversions — à propos d’Europe 51 de Rossellini

Critique

En attendant les « jours meilleurs », le cinéma peut nous apprendre à voir, faire office d’un révélateur. Il nous pose la question cruciale, à sa façon singulière : croyez-vous que nous puissions être satisfaits du monde dans lequel nous vivons ? Europe 51 de Roberto Rossellini porte cette question par la mise en scène d’une conversion suite à un événement tragique, à travers l’apprentissage d’un regard, son éclosion au monde, son décloisonnement.

Alors que les salles obscures restent fermées sine die, et que leur réouverture semble aujourd’hui un horizon aussi lointain qu’incertain, que le Festival de Cannes tient du mirage sur une Croisette déserte, et que l’industrie cinématographique dans son ensemble, ainsi que tout ce que l’on nomme « monde de la culture », pâtit et pâtira cruellement de cette quarantaine dont on ne compte plus les jours (ou au contraire dont on ne sent que trop le passage des heures), la mort du cinéma apparaît non plus comme un sujet de réflexion théorique, un frisson fictionnel, mais une supposition possible, et, pour les plus pessimistes, probable.

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Non pas parce qu’il aurait raté son rendez-vous avec l’histoire car il n’a pu empêcher aucune des catastrophes du XXe siècle, comme le soutient Jean-Luc Godard (et je ne m’aventurerai pas plus dans cette discussion), mais pour des raisons bassement économiques et matérielles. Mort du cinéma que je n’espère pas, bien évidemment, et optimiste, je dirais que le cinéma a encore quelques sursauts devant lui malgré son sursis.

Plus précisément, l’alliance de la réclusion forcée et du « triomphe du virtuel » signera-t-elle la victoire définitive des plateformes sur l’autel du cinéma ? Au contraire, cette période me rappelle combien l’expérience de la salle est singulière, combien cette grotte m’est chère, et combien elle est nécessaire pour apprécier nombre de films à leur juste valeur. Petite pensée, alors, pour ces films qui patientent dans l’attente de leur sortie comme au Purgatoire, et dont la présentation sur petit écran uniquement, sans passer par la case du grand, ne peut être vécue pour beaucoup que comme un lancement tronqué, un parachèvement sans événement.

Pourtant, force est de constater que les plateformes, qui ne sont bien sûr pas toutes logées à la même enseigne, sont aussi des alliées fidèles en cette période de fermeture, permettant une ouverture pour découvrir et redécouvrir des chefs d’œuvre du côté de chez soi. Ai


Ysé Sorel

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