L’Alpha et l’Omega du rock’n’roll – sur Little Richard
Richard Penniman n’avait nul besoin d’interroger son miroir tous les matins pour savoir qui était le roi (ou la reine selon les jours) du rock’n’roll. Il lui suffisait d’attaquer Good Golly Miss Molly, ou un truc dans le genre, de pousser dans le rouge cet organe extravagant, frénétique, ce laser sonore proprement pétrifiant qui lui servait de voix pour voir la glace, sous l’effet de la surpuissante fréquence, se fissurer avant de se briser en mille éclats. Un pour chacun de ceux, innombrable, dont il avait été la première idole, l’élément déclencheur, la secousse inaugurale. Ou le reflet magique qu’ils cherchaient d’eux-mêmes, et finalement trouvé dans ce dieu Pan pommadé, accoutré d’une pèlerine incrustée de rubis.
Bien avant sa mort à l’âge de 87 ans, inouï pour un apôtre des excès tel que lui, il les avait tous vus un à un lui rendre cette justice que bien des managers, producteurs, directeurs de labels lui avaient ingratement refusée. McCartney, Elton John, Bowie, Prince, Dylan, les mecs de Creedence, Slade, Motorhead, Deep Purple, tous avaient reconnu au Petit Richard pas seulement la primauté, ou l’antériorité, mais une manière d’omniscience : celle d’être du rock’n’roll l’alpha et l’omega. Comme si la vie et l’œuvre suffisaient à offrir absolument tout ce que cette musique divine et infernale avait en magasin, le salut, la perdition, le fric, la déchéance, le désespoir, les plaisirs, le bon et le mauvais goût.
À quoi bon la psychanalyse ? Oui Richard, troisième d’une portée de 12 issue de l’union entre Leva Mae (14 ans) et Bud Penniman, lui fils de pasteur, maçon briqueteur, dealer d’alcool de contrebande – le fameux « moonshine » – est né avec une jambe plus grande que l’autre et une paire d’yeux elle aussi disparate. C’est sûr, ça met une pression. Mais rien comparé à celle de grandir à Macon, Géorgie, au temps de la ségrégation. Il commence à chanter des versets de la Bible au sein d’un petit groupe de gospel, les Tiny Tots (les tout petits