(Re)lire au temps du confinement

Les sismographes du détail – sur la biographie intellectuelle d’Aby Warburg par Ernst Gombrich

Critique d'art

Au moment où chacun réorganisait son quotidien confiné, relire la Biographie intellectuelle de l’historien de l’art Aby Warburg par Ernst Hans Gombrich, traduite en français en 2015, fut une expérience précieuse, un voyage du côté de ces deux passionnés des livres, des images et des bibliothèques. Élaboré à partir des écrits personnels de Warburg, l’ouvrage retrace son parcours intellectuel foisonnant, exigeant, marqué par la maladie mentale et les maux de son siècle.

Aby Warburg (1866-1929) a souffert d’un « blocage psychique qui l’empêchait d’écrire [1] ». Son comportement et sa maladie l’angoissant à l’idée de travailler pour quelque publication, l’en ont empêché. Toute son existence il a conservé et enregistré son quotidien dans des notes, des lettres, parfois des bouts de papier qu’il gardait dans ses poches. Les commentaires de ses biographes et exégètes reprennent et annotent certaines parties de ces nombreux documents, et cela particulièrement dans le travail mené par Ernst Hans Gombrich (1909-2001) au sein de sa biographie intellectuelle, l’ouvrage dont il est question ici.

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Il n’y évoque pas « l’archive de (la) propre folie [2] » d’Aby Warburg lequel comporte une série de soixante-neuf carnets – soit sept mille trois cents pages. Selon Ludwig Binswanger, psychiatre qui l’accompagne durant ses quelques mois en clinique, les symptômes warburiens de la schizophrénie sont avant tout personnels, mais ils portent aussi des enjeux collectifs, lesquels trouvent aujourd’hui un écho dans notre temps.

Nous pouvons y lire les descriptions d’une maladie de la modernité, entre volonté de puissance et éternel retour du même. Une maladie qui est par ailleurs si proche de « l’économie politique du temps » que Warburg connaît bien et qui se compose de cycles, croissances, crises et dépressions, cela à l’image de la mémoire du motif artistique, celle qu’il nomme « engramme » dans ses travaux d’historien.

Alors, au moment de relire cette biographie de Warburg par Ernst Hans Gombrich, je me demande quels signaux envoyer dans une période où chacun réorganise sa vie quotidienne, sa vie familiale et sa vie professionnelle. Il m’a semblé pertinent de me tourner vers deux passionnés des livres, des images et des bibliothèques. Aller voir vers celui qui, plus que quiconque, a inventé les expositions personnelles (au sens d’un travail d’association et de mise en relation d’idées singulières) ; et cela au coeur de son laboratoire d’image


[1] Eduardo Mahieu, « Aby Warburg : l’art de la fuite », Essaim, 2008/2 (n° 21) / https://www.cairn.info/revue-essaim-2008-2-page-73.html

[2] Georges Didi-Huberman, L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Minuit, 2002, Paris.

[3] Extrait de l’introduction d’Aby Warburg à sa conférence sur Rembrandt (1926). La citation de Goethe est issu du prologue de Faust (1808).

[4] Georges Didi-Huberman, op.cit., 2002.

[5] Jean-Yves Trépos, « Ernst Hans Gombrich, Aby Warburg. Une biographie intellectuelle. Suivi d’une étude sur l’histoire de la bibliothèque de Warburg par Fritz Saxl », Questions de communication, 29, 2016, pp 415-419.

Léo Guy-Denarcy

Critique d'art

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Notes

[1] Eduardo Mahieu, « Aby Warburg : l’art de la fuite », Essaim, 2008/2 (n° 21) / https://www.cairn.info/revue-essaim-2008-2-page-73.html

[2] Georges Didi-Huberman, L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Minuit, 2002, Paris.

[3] Extrait de l’introduction d’Aby Warburg à sa conférence sur Rembrandt (1926). La citation de Goethe est issu du prologue de Faust (1808).

[4] Georges Didi-Huberman, op.cit., 2002.

[5] Jean-Yves Trépos, « Ernst Hans Gombrich, Aby Warburg. Une biographie intellectuelle. Suivi d’une étude sur l’histoire de la bibliothèque de Warburg par Fritz Saxl », Questions de communication, 29, 2016, pp 415-419.