Triomphe du virtuel

« Si le capital n’existe plus, ni sa critique marxiste, c’est que la loi de la valeur est passée dans l’autogestion de la survie sous toutes ses formes. Si le cimetière n’existe plus, c’est que les villes modernes tout entières en assument la fonction. Elles sont villes mortes et villes de mort. Et si la grande métropole opérationnelle est la forme accomplie de toute une culture, alors tout simplement la nôtre est-une culture de mort. »
Jean Baudrillard, Le paroxyste indifférent, 1997
Un.
Il y a dans La Marseillaise de Jean Renoir une séquence célèbre où l’on voit quelques-uns des nobles émigrés à Coblence pour fuir la Révolution s’essayer à retrouver les pas et les gestes du menuet tel qu’on le dansait à Versailles quelques semaines auparavant. Cette tâche n’est pas facile, les ci-devant ne sont pas d’accord entre eux, ils ont oublié, ils restent perplexes au plein de la danse : faut-il plier le genou, faut-il saluer avant ou après… – et nous, spectateurs, sommes amenés à constater qu’un monde de rites, de règles, de gestes répétés, de familiarités, est en train de disparaître, en même temps que la mémoire corporelle de celles et ceux qui les pratiquaient. Les habitudes se perdent. D’autres les remplacent. Le corps est dressable. L’esprit l’est aussi. L’un et l’autre jusqu’à un certain point, bien sûr.
Mais voilà que la pandémie s’installe. Tout paraît se perdre, tout devoir se réinventer. C’est ainsi que nous sommes collectivement entraînés à virtualiser les relations qui nous définissaient les uns les autres comme réels et réciproques. En quelques jours, les salles de cinéma sont fermées par précaution, comme tout le reste de ce qui pouvait être fréquenté par un public, nos relations sont requises de passer au virtuel – jusqu’aux apéros devenus apéros virtuels. Ce qui devrait faire rire. Mais non. Tout le réel de nos rapports aux autres est transféré sur écran. Éloigné, en somme, mis en cadre, à part. Nous ne sommes plus dans une salle, nous sommes devant u