Manchette, ou la fin d’une époque – à propos des Lettres du mauvais temps, Correspondance 1977-1995
Jean-Patrick Manchette est mort il y a 25 ans, le 3 juin 1995. Il avait 52 ans, une œuvre brève, inachevée mais close sur son temps, pourrait-on dire. On pourrait même dire, en détournant la trivialité d’une telle formule, qu’il avait « fait son temps », en contribuant activement à une époque qui peut-être s’achevait (au moins en partie) avec lui, et dont il n’a cessé de signaler l’impasse dans des livres où souvent revient cette impression étrange, singulièrement angoissante, source aussi d’une sorte de fascination sèche, qu’il n’y a pas d’issue.

No exit : l’enfermement fatal est annoncé – implacable prolepse – dès le préambule de L’Affaire N’Gustro, le premier livre qu’il signe en 1971 de son nom seul, aujourd’hui réédité en Série noire et où un coup de feu, assourdi d’un sale silencieux, semble signaler sans lyrisme que tout est d’avance foutu.
Plusieurs publications célèbrent, si l’on peut dire, cet anniversaire de la disparition de Manchette, à commencer par celle de sa passionnante correspondance de 1977 à 1995, sous le titre Lettres du mauvais temps, qui fait suite à la parution déjà ancienne de son formidable Journal (1966-1974) et s’accompagne des « chroniques ludiques » sur les jeux de stratégie tenus dans « Métal hurlant » à la fin des années 80, Play it again, Dupont, comme de la réédition des Yeux de la Momie, textes sur le cinéma dont Manchette dit sévèrement dans une lettre de 1989 qu’ils n’ont aucun intérêt, si ce n’est le défi d’avoir été écrits sans qu’il ait vu les films dont il parlait (et que lui racontait seulement son fils) : « Quant à mes articles eux-mêmes, c’est un tas de bran, et qui ne méritent pas l’intérêt »… Ne l’écoutons pas.
Il y a dans toutes ces parutions d’innombrables bonnes pages, en vérité, qui donnent envie de reprendre l’œuvre dans son intégralité – un commode et copieux Quarto de 2005 peut aussi le permettre – en commençant par exemple, chronologiquement, par L’Affaire N’Gustro : ce livre sec et séminal décalquait