Littérature

Des vies à trois francs six sous – à propos de Nickel Boys de Colson Whitehead

Critique

La Dozier School for Boys, maison pénitentiaire de Floride, a été le théâtre de persécutions violentes et de crimes racistes. C’est dans ce lieu que Colson Whitehead place son nouveau roman, Nickel Boys, où il imagine la trajectoire du jeune Elwood Curtis, noir, condamné à tort dans les années 1960 pour un vol qu’il n’a pas commis. À l’instar du mouvement « Black Lives Matter », l’auteur dépasse le « post-racial », en rendant compte d’une réalité historique de persécutions, d’injustices et de crimes perpétrés à l’égard des Afro-Américains.

Colson Whitehead est l’homme de l’histoire. À croire que les forces qui traversent son œuvre depuis une vingtaine d’années sont les mêmes qui sourdent de façon souterraine dans la psyché américaine jusqu’à accompagner ses soudaines et criantes manifestations.

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The Nickel Boys paru aux États-Unis en 2019, comme The Underground Railroad sorti trois ans auparavant, sont à la littérature afro-américaine ce que semblent avoir été, dans l’histoire de la contestation, le mouvement Black Lives Matter et, ce printemps, les explosions consécutives à la mort de George Floyd : une radicalisation et un coup d’arrêt porté à qu’on nommait jusqu’à présent le « post-racial », le « post-black » ou le « post-soul » et que Whitehead incarnait bien dans ses cinq premiers romans, The Intuitionist (1999), John Henry Days (2001), Apex Hides the Hurt (2006), Sag Harbor (2009) et Zone One (2011).

Né en 1969, enfant de la bourgeoisie new-yorkaise élevé dans l’Upper West Side, étudiant dans la célèbre école privée Trinity School puis à Harvard, habitué des plages de Long Island l’été, Whitehead n’avait a priori rien d’un « nickel boy », d’un garçon ne valant pas un kopek, d’un gosse de « trois francs six sous » qu’un certain courant de la littérature afro-américaine avait pu représenter depuis le Black Boy (1945) de Richard Wright, Invisible Man (1952) de Ralph Ellison ou Manchild in the Promised Land (1965) de Claude Brown : un pauvre gamin du Sud rural ou des ghettos urbains dans les grandes métropoles du Nord, victime de la discrimination, des injustices et de la violence. Whitehead était plutôt un Gatsby noir, fruit d’une émancipation et d’un enrichissement tels qu’avait pu en rêver le théoricien de « l’ascension sociale des noirs » (racial uplift), Booker T. Washington.

Dès la sortie de L’intuitioniste en 1999 (traduit en français en 2003), Whitehead fut encensé par la critique et reconnu par ses pairs, certains, anciens élèves, comme lui, de Harvard, tel John Updike qui écriv


Béatrice Pire

Critique, Maîtresse de conférences-HDR en littérature américaine

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