À propos de Josep, film d’animation d’Aurel
Artisan-artiste méconnu, Josep Bartoli a fondé le syndicat des dessinateurs en Catalogne dans les années trente, combattu le franquisme pendant la guerre d’Espagne (il était commissaire politique du POUM), s’est réfugié en France où il a été accueilli par quelques giclées de xénophobie et incarcéré dans un des camps pyrénéens réservés aux républicains espagnols, puis dans une sorte d’infernale logique, fut fait prisonnier par la Gestapo.
Il a réussi à s’échapper, puis à émigrer aux États-Unis. Là-bas, il fréquente les milieux artistiques et hispaniques, devient proche de Frida Kahlo et de Diego Rivera, croise Rothko, Pollock, De Kooning… Il poursuit son activité de dessinateur dans le Saturday Evening Post, ou pour le Club du Livre en France, tout en poursuivant une carrière parallèle de peintre.
De son côté, Aurel est un dessinateur français contemporain, qui officie (ou a officié) pour Le Monde, Le Monde Diplomatique, Politis, Marianne, Jazz Magazine, Le Canard enchaîné, publié des albums et recueils, assuré des travaux de graphiste pour Massilia Sound System ou Natacha Atlas.
Outre le dessin, qu’est-ce qui relie ces deux hommes ? Josep, superbe film d’animation consacré au premier et réalisé par le second sur un scénario de Jean-Louis Milesi (scénariste habituel de Robert Guédiguian).
Josep rappelle une histoire collective connue mais qu’il est toujours bon de rappeler sans cesse.
Le film reprend en détail les épisodes biographiques déroulés plus haut en y adjoignant une dimension romantique (les amours tragiques ou heureuses de Josep) et en les incarnant – si tant est qu’on puisse employer ce terme pour un « dessin animé », donc dépourvu du corps de ses acteurs. Mais oui, on le peut, car le verbe des acteurs allié au dessin d’Aurel parvient à se faire chair.
A travers la destinée d’un artiste peu familier du grand public, Josep rappelle donc une histoire collective connue mais qu’il est toujours bon de rappeler sans cesse (et même plus que jamais en nos temps de démagogie, de nationalisme, de complotisme et de post-vérité), celle de la violence autoritariste, populiste, fasciste, xénophobe, qui est aussi celle de la nécessaire lutte contre de telles forces et de la somme de courage qu’elle requiert.
Josep tombe également à pic au moment du procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, avec son cortège de menaces de mort et son attentat tout récent visant des journalistes de Charlie. Car que raconte aussi Josep ? Le combat entre les armes et les crayons, entre la force brute et l’esprit, combat à priori inégal, mais peut-être pas tant que ça. On le sait, certains détenus des camps nazis résistaient, tenaient le coup, survivaient, demeuraient des êtres humains en dessinant. Josep Bartoli était bien sûr de la même époque et de la même étoffe bien qu’il ait eu la fortune de ne pas connaître Auschwitz.
Ceux de Charlie aussi luttaient (et luttent toujours) avec leurs stylos et leurs pinceaux contre les pouvoirs, contre les systèmes de domination, contre la bêtise, même si les terroristes (et trop de gens hélas) ne le comprennent pas. Aurel aussi mène le combat pour le progrès et l’émancipation avec des gommes et des crayons, lui qui a réalisé des reportages dessinés en Algérie, en Espagne, auprès des électeurs démocrates américains, ou consacré des albums de BD à François Hollande, Thelonious Monk, Django Reinhardt.
Il s’agit de remettre en mouvement un personnage défunt et un récit fixé par le passé.
La technique d’animation d’Aurel est singulière. Elle procède par une alternance entre le mouvement et l’image fixe. Tel plan débute dans le mouvement puis se fige, ou bien le contraire. Il est possible que la raison de cette technique soit d’ordre économique. On préfèrera y voir un style et ce qu’il produit. En remarquant d’abord que la dialectique image fixe/mouvement est au cœur du procédé du cinéma argentique, technique qui comme chacun sait fait défiler 24 images par seconde, la persistance rétinienne faisant le reste du travail transformant la fixité en mouvement. On peut ainsi voir le procédé d’Aurel comme un hommage discret à une période du cinéma en voie de disparition.
Plus important, le film d’Aurel fait parfaitement fonctionner la persistance rétinienne et l’imaginaire du spectateur : on voit la fixité temporaire de ses images, puis on l’oublie, car ces images immobiles s’animent mentalement au contact des plans en mouvement qui les précèdent ou les suivent. Cette confiance en la suggestion plutôt qu’au surlignage est très belle. De plus, cette technique et cette esthétique n’ont rien de gratuit, au contraire, elles s’accordent parfaitement au sujet du film puisqu’il s’agit de remettre en mouvement un personnage défunt et un récit fixé par le passé.
Il y a bien une ligne claire qui s’est tracée de Josep Bartoli à Aurel à travers ce film dont un autre maître-mot pourrait être « transmission ». Celle-ci s’opère entre le vieux Josep et son petit-fils dans le film (selon une structure scénaristique de legs entre anciens et jeunes générations, proche de celles de Titanic ou de Sur la route de Madison), comme elle s’est opérée entre Josep et son neveu et biographe Georges Bartoli ; et bien sûr entre la biographie et le film, entre Bartoli et Aurel, d’un dessinateur à l’autre, des années 1930 aux années 2020.
Ces temps-ci, il est beaucoup question de fractures générationnelles réelles ou supposées, sujet exacerbé par la crise du Covid-19. Josep rappelle une évidence à ne pas jeter aux orties de légitimes pulsions révolutionnaires : les jeunes générations ont toujours quelque chose à apprendre de ceux d’avant qui ne sont pas tous des « vieux cons ».
Josep d’Aurel sort au cinéma le 30 septembre.