Littérature

Une femme seule – à propos de deux récits autobiographiques de Deborah Levy

critique

Une réflexion aiguë sur la condition féminine parcourt les deux récits autobiographiques de Deborah Levy, Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie. Tantôt silencieuse, tantôt percutante, elle déchire le rideau de ce que l’écrivaine appelle le « récit patriarcal » – ainsi que le texte lui-même, à coups de blancs typographiques. Néanmoins, il ne faudrait pas lire ces livres comme des manifestes féministes, mais plutôt comme des contes, qui suscitent un sentiment d’humanité universelle et de liberté acquise coûte que coûte, un goût de sirop acidulé.

La fortune des écrivains, hommes et femmes, est capricieuse. En Angleterre où elle vit depuis l’âge de neuf ans et en Afrique du Sud où elle a vécu les huit années précédentes, Deborah Levy est une dramaturge, une poétesse et une romancière connue. En France, elle était inconnue, malgré un roman traduit. Il aura fallu qu’elle se lance dans une trilogie autobiographique pour que sa voix française jaillisse et produise un son nouveau. Les deux premiers volumes viennent de paraître. Réjouissons-nous car ils sont acérés, denses, plein d’accents et de notes rarement entendues.

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Les deux récits commencent in medias res, mais après une crise conjugale et existentielle. Deborah Levy mentionne son divorce mais elle ne s’y appesantit pas. Dans Ce que je ne veux pas savoir, elle ne le dit jamais explicitement. Dans Le Coût de la vie elle le déclare à la page 16, après une scène d’ouverture ramassée. Elle écrit avec une limpidité et une franchise absolue : « Mon mariage était le navire et je savais que si j’y retournais je me noierais. C’est aussi le fantôme qui hantera ma vie à jamais. »

Sa blessure est aussi profonde que les blessures de l’enfance. Le creux, la douleur est là, et elle plane sur ces deux volumes qui mettent en scène une femme se débattant avec une vie quotidienne dure et harassante, une vie de mère, une vie d’écrivaine et une vie de londonienne.

C’est une des caractéristiques les plus frappantes de ce « coût de la vie » qu’il faut lire au sens propre, « pécuniaire ». La vie à Londres est scandaleusement chère, les prix des logements y sont prohibitifs, la ville a été gangrenée par les gagnants de la mondialisation. Obligée de quitter une maison familiale victorienne, Deborah Levy emménage avec ses deux filles dans un appartement du nord de Londres où tout part à vau-l’eau : chaudière, plomberie, peintures… Les factures tombent, les allocations sont absentes, la femme ploie sous le fardeau du ménage, et pourtant elle tient, elle porte beau, elle écrit


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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