Essai

De l’art de la lecture – sur Lettres de fuite. Séminaire 2001-2004 d’Hélène Cixous

Écrivain

Dans Lettres de fuite, Hélène Cixous analyse de séminaire en séminaire l’œuvre de Proust sans jamais pour autant tendre vers l’explication de texte ou l’autopsie, si courante dans les livres savants. L’érudition est bien présente, mais elle est mobilisée au service de l’interprétation phrase après phrase. La lecture en devient de l’art en train de se faire, sous nos yeux : Proust est en train d’écrire, on monte dans le premier wagon venu, les paysages, les personnages défilent…

Chacun sait qui a lu Proust – c’est-à-dire, qui s’est laissé aller à jouer le jeu endiablé de Proust, qui est tombé dans ce jeu comme l’atout immanquablement tombera aux cartes –, chacun sait qui a lu Proust le miracle absolu des grands livres, qui est qu’ils rendent au monde pétillant d’intelligence (peut-être ne le serons-nous que le temps de la lecture, pétillants d’intelligence, mais après tout l’intelligence est une sensation plus qu’une réalité : autant y goûter sans remords quand elle passe et nous arrache à la bêtise, qui est, elle, une réalité bien avant que d’être une sensation : et pour le coup, le monde social en témoigne encore mieux que les livres).

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D’une certaine façon, on pourrait dire que ce tout premier volume du séminaire d’Hélène Cixous l’atteste au carré – d’autant que Lettres de fuite. Séminaire 2001-2004 doit son titre à « l’être de fuite » qu’est entre toutes Albertine dans À la recherche du temps perdu, resté sur la table de lecture de séance en séance ces années-là même lorsqu’il était longuement question d’une main d’enfant chez Thomas Bernhard, des avions de Kafka ou des villes de Rimbaud : dans de permanents aller-retour avec « le Proust d’Hélène Cixous » qui se précise de chapitre en chapitre – qui se déplie, se dévoile, se déconstruit aussi sans jamais y perdre (et au contraire) son envoûtante vitalité : sans que jamais le geste ne tende à l’explication de texte, au commentaire, et moins encore à l’autopsie si courante dans les livres savants.

Mieux vaut cependant en passer d’abord par de nécessaires présentations : voulu, conçu et édité par Marta Segarra, universitaire qui se partage de longue date entre Barcelone et Paris et a beaucoup œuvré aux côté de Jacques Derrida et d’Hélène Cixous depuis une vingtaine d’années, ce pavé de près de 1 200 pages en grand format s’annonce comme la première pièce d’un gigantesque édifice éditorial qui devrait compter au bas mot une douzaine de volumes.

Le projet est en effet de recueillir


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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