Littérature

Un oracle de papier – sur Antoine des Gommiers de Lyonel Trouilllot

Journaliste

Dans Antoine des Gommiers, son nouveau roman, Lyonel Trouillot dépeint la réalité des quartiers déshérités de Port-au-Prince, comme il sait admirablement le faire. Ici, à travers deux frères très différents mais inséparables, et la figure légendaire d’un devin, il dresse un superbe éloge de la fiction et de la littérature.

Si « le style, c’est l’homme », selon l’adage favori de l’un des personnages d’Antoine des Gommiers, alors Lyonel Trouillot est un pays, Haïti, et une ville, Port-au-Prince. En effet, tous ses livres sont irrigués par une écriture qui porte en elle les paysages, les couleurs, les odeurs de ce pays caribéen qu’il habite depuis toujours, ainsi que les désirs, les souffrances, les réparties, le quotidien de ses habitants, chacun pris dans leur singularité. L’œuvre de Lyonel Trouillot, c’est Haïti à livre ouvert, une terre littéraire vibrant au rythme d’une population remuante, celle qui habite les quartiers déshérités, occupée à survivre avant tout, à aimer et à rêver malgré tout.

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Prenons Bicentenaire (2004), qui suit le dernier jour d’un étudiant manifestant dans les rues de Port-au-Prince ; ou La Belle amour humaine (2011), dans lequel une jeune femme, devenue une Occidentale, revient au pays sur les traces de son père au gré d’une enquête policière ; ou encore Kannjawou (2016), récit de la dislocation d’un groupe d’amis liés depuis l’enfance. Dans ces trois romans[1], parmi les meilleurs de l’auteur, la réalité haïtienne est au premier plan. Une réalité réinventée, métaphorisée, subjectivée, mais rendue avec la plus grande justesse et, osons le mot, le plus grand amour.

Avec en plus un talent immense qui n’est plus à démontrer, sauf auprès des jurés des prix littéraires. Mais n’est-ce pas une habitude que ceux-ci n’entendent goutte ? Qu’on se le dise : l’un des auteurs de langue française les plus importants reste ignoré des « grands » prix d’automne. Peut-être y ressent-on quelques réticences à honorer un écrivain considéré comme un porte-parole de son peuple. Que Lyonel Trouillot offre par son œuvre une visibilité et une existence à une société étouffée, oblitérée, est incontestable. Cette qualité n’est pourtant ni dévalorisante ni exclusive. Elle ne l’empêche pas de toucher à des questions considérées comme universelles. Antoine des Gommiers en apporte


[1] Parus chez Actes Sud, comme tous ceux que l’auteur a publiés depuis 1998.

Christophe Kantcheff

Journaliste, Critique

Rayonnages

Littérature

Notes

[1] Parus chez Actes Sud, comme tous ceux que l’auteur a publiés depuis 1998.