Littérature

Quand l’immortalité tient à quelques tessons – sur La Nuit des orateurs d’Hédi Kaddour

critique

Quittant le grand parc du roman contemporain du « réel », le nouveau livre d’Hédi Kaddour se déroule sous la Rome antique, manière de s’interroger sur les vestiges de cet héritage lointain. Il y a de l’archéologie dans cette démarche. On retrouve ainsi un goût pour l’érudition et pour les sonorités latines, non sans humour parfois. Mais, surtout, il appartient à l’écrivain d’exercer son imagination pour combler les zones grises et les blancs historiques.

Yourcenar, Montherlant… Les écrivains du XXe siècle sont plusieurs à avoir mis en scène le monde romain dans des récits dits « classiques », un qualificatif qui signifie… quoi, au juste ? On ne se lancera pas ici dans un exposé sur le classicisme ni sur l’histoire de la représentation de Rome dans la littérature. Le champ est trop large, trop riche. On se contentera de remarquer la parution simultanée de deux ouvrages de littérature situés dans Rome ou autour, dans son empire ou les vestiges de cet empire.

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Le premier, La Nuit des orateurs, plonge au cœur de la vie de Lucretia et Publius, époux menacés par le pouvoir tyrannique de Domitien. Lucretia est la fille d’un grand général, Agricola. Publius n’est autre que le grand historien Tacite. Les ouvrages universitaires précisent que ce prénom n’est pas une certitude, Tacite se prénommait peut-être Caius. Qu’importe, il appartient à la liberté du romancier de choisir Publius et d’exercer son imagination pour combler les zones grises et les blancs biographiques.

Car du genre biographique, La Nuit des orateurs n’a rien, sinon les éléments qui permettent d’accréditer la plausibilité de l’histoire qu’il raconte. Le récit ne déroule pas une vie dans le temps. Il est concentré en une nuit, celle des orateurs du titre. Lequel fait référence au Dialogue des orateurs, un ouvrage de Tacite découvert tard et traduit pour la première fois en français en 1585. Le roman d’Hédi Kaddour se goûte sans qu’il y ait besoin de lire le traité de Tacite, mais son goût sera plus raffiné et plus relevé si lecture il y a – ah, maudits romanciers savants qui vous obligent à dépoussiérer vos classiques et retrouver des ouvrages que vous croyiez enfermés dans l’enfer des vieux souvenirs de latin !

Savant, il l’est Hédi Kaddour. Très calé, pointu, féru de lettres et de culture, mais assez ouvert pour quitter le grand parc du roman contemporain aux prises avec le « réel » et sauter il y a deux mille ans dans la Rome de Domitien. Nous som


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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