D’un corps cassé à un chœur à l’unisson – sur Cinq mains coupées de Sophie Divry
Les très récents débats sur les violences policières et la diffusion du film de David Dufresne Un pays qui se tient sage ont accompagné la sortie du dernier livre de Sophie Divry et intensifié sa vive actualité. Pour composer Cinq mains coupées, l’écrivaine a mené quelques mois durant des entretiens avec cinq manifestants mutilés de la main, lors du mouvement des « gilets jaunes » : ces témoignages enregistrés, comme elle le souligne en postface, elle les a montés à la manière de Nathalie Quintane notamment, dans Un œil en moins, qu’elle cite en exergue.
L’importante reconnaissance médiatique du livre de Sophie Divry est un double marqueur : d’abord de la vive repolitisation d’une littérature contemporaine aux prises avec les tensions d’une crise de la représentation démocratique ; ensuite de l’essor important de la non-fiction au sein des espaces de légitimation médiatique.
Cette extension du domaine de la littérature, pour emprunter le titre d’Alexandre Gefen et Claude Perez, bien des critiques la datent en manière de symptôme du prix Nobel attribué en 2015 à Svetlana Alexievitch. Si ce prix Nobel n’a sans doute pas suscité les mêmes empoignades fiévreuses que celui qui fut attribué à Bob Dylan, il n’en demeure pas moins qu’il a opéré un double décentrement. Au-delà du geste politique, les membres de l’académie Nobel ont distingué une œuvre qui s’élabore à la lisière entre littérature et journalisme. Bien des critiques ont montré que les passages et les porosités entre champ littéraire et pratiques journalistiques sont nombreux dès le XIXe siècle, mais souvent selon des circulations et des distributions qui distinguent d’une part la pratique du reportage et de l’autre l’œuvre littéraire. Les montages de témoignages de Svetlana Alexievitch brouillent de tels partages, comme Jean Rolin ou Emmanuel Carrère, Florence Aubenas ou Jean Hatzfeld.
L’autre décentrement touche à la définition de l’auctorialité : les livres de Svetlana Alexievitch sont en effet pou