Qui a peur d’Emma Becker ? – à propos de La Maison
« Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint », écrivait Georges Bataille dans la préface à son roman Le Bleu du ciel. C’est le cas du roman d’Emma Becker La Maison, fruit de l’expérience de son auteur dans un bordel de Berlin où elle s’est prostituée pendant plus de deux ans.
Au début il ne s’agissait que de mener une enquête journalistique, mais très vite Emma Becker s’est convaincue qu’elle ne pourrait rester une simple observatrice, qu’il lui fallait vivre cette expérience pour la raconter. « La bascule entre journalisme et roman s’est faite quand je suis arrivée à « La Maison », car le premier bordel où j’avais travaillé était tellement horrible qu’il n’y avait pas moyen de m’y fondre. (…) il était hors de question que je ponde un bouquin naïf ou misérabiliste ou pis, un bouquin qui n’aurait effleuré qu’une facette de ce travail, je me suis persuadée qu’il y aurait quelque chose de beau ou de drôle à écrire, même s’il fallait racler le fond du fond. J’espérais que ma voix rendrait humaine la réalité de la prostitution – parce que les livres ont ce pouvoir (…). À La Maison, j’étais chez moi. J’ai beaucoup « ré imaginé » – évoqué des filles dans certaines scènes, alors qu’il s’agissait de moi. » Double bascule dans le roman et dans la prostitution.
Voilà donc notre « Zazie » poussant la porte d’un boxon berlinois, comme d’autres entrent au carmel, animée de sa seule foi dans la littérature. Elle y accomplira fidèlement jour après jour les rites de cette drôle de liturgie, serviettes en croix sur le lit, huiles et lubrifiants pour les chairs, acceptant de confier son corps à cette « notion illusoire du sacré » qu’est la prostitution selon elle. Elle décrit sa conversion comme une révélation : « Et puis un jour, ça m’a frappée comme une révélation : j’avais à la fois le sujet de mon troisième livre et mon gagne-pain. »
Rien ne l’y obligeait : aucun proxénète tatoué, à la main leste, ni même le besoin d’arg