Littérature

À la recherche de l’affaire Finaly – sur Comètes et Perdrix de Marie Cosnay 

Écrivain

« Je me souviens de l’affaire Finaly », écrivait Georges Perec dans sa célèbre litanie. Un scandale qui focalisa l’attention des médias dans les années cinquante avant de tomber dans l’oubli. Pour Comètes et Perdrix, son nouveau livre, Marie Cosnay reprend l’enquête de zéro comme on rouvre une affaire criminelle. Au cœur de cette Affaire, deux enfants juifs devenus les otages d’une guerre froide franco-française, d’un conflit de narration autour des notions d’identités, d’appartenance nationale et religieuse.

« Je me souviens de l’affaire Finaly », écrivait Georges Perec dans sa célèbre litanie. Une affirmation paradoxale car plus personne ou presque ne se souvient de l’Affaire Finaly, qui fit la une des journaux dans les années 1950. Elle est tombée dans l’oubli comme la plupart des événements recensés par Perec, « ces petits morceaux de quotidien, de choses que […], tous les gens d’un même âge ont vues, ont vécues, ont partagées et qui ensuite ont disparu, ont été oubliées ».

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Qu’ils aient appartenu au feuilleton des faits divers ou à la vie politique et judiciaire, à la rubrique des spectacles ou à la chronique sportive, les « Je me souviens » de Perec dressent un inventaire hétéroclite de faits divers, d’affaires et de scandales qui « ne valaient pas la peine d’être mémorisés… qui ne méritaient pas de faire partie de l’Histoire, ni de figurer dans les Mémoires des hommes d’État ».

À la frontière de l’intime et du collectif, ces évènements dressent une immense frise des années 1950, composée de fragments d’histoires, un montage rap de versions du récit qui n’ont pas été retenues, un fabuleux trésor d’évènements fameux et banals à la fois, un pied dans la mémoire, un autre dans l’oubli. Ce sont les « invendus » de l’Histoire, les « chutes » du récit officiel, le flux des « actualités », qu’on distinguait des « évènements » historiques avant que tout ne soit noyé dans le flux indistinct des stories. Une bizarre légende, non pas de ce qui est mémorable mais de ce qui est « oubliable », indigne d’être raconté.

Quelle malfaçon les empêchait donc d’entrer dans l’histoire ? Est-ce en vertu de leur contenu ou de leur réception ? Étaient-ils par nature insignifiants ou inassimilables, impossibles à intégrer dans la mémoire collective ? Sont-ils simplement tombés dans l’oubli par une sorte de désaffection du public ou ont-ils été refoulés par l’histoire officielle parce qu’ils recelaient des éléments « impurs », qui ne collaient pas avec le narratif dominant, le récit que l’époque avait envie d’entendre sur elle-même ? Des événements tabous qu’une société s’entend à ne pas entendre, auxquels elle fait la sourde oreille.

C’est à cette deuxième catégorie qu’appartient l’affaire Finaly. Si elle a été oubliée, ce n’est pas en raison de son insignifiance, mais de sa signification troublante, une affaire qui ne collait pas avec les mythes fondateurs de la Libération. C’est en tout cas ce que démontre magistralement le dernier roman de Marie Cosnay, Comètes et Perdrix. Sous ce titre aux faux airs de comptine pour enfants (« Comètes » est le nom d’un réseau de résistance et « Perdrix », celui d’un rocher sur le sentier de montagne qui mène à la frontière espagnole), Marie Cosnay a écrit un roman archéologique entre fiction et documentaire, enquête policière et roman d’espionnage.

Là où il suffisait à Perec de quelques mots pour évoquer cette affaire, la romancière a dû replonger dans les arcanes du plus grand scandale de l’après-guerre, en démasquer les non-dits et la faire revivre dans un récit aux multiples implications politiques et religieuses, nationales et internationales.

Au centre de l’affaire Finaly, deux enfants juifs âgés l’un de trois ans, l’autre d’un an, que leurs parents avaient eu le temps de placer dans une crèche quelques jours avant d’être arrêtés et déportés à Auschwitz où ils seront assassinés, en 1944. À la Libération, leurs oncles et tantes dispersés aux quatre coins de la planète entament des recherches pour les récupérer. Ils finissent par retrouver leurs traces dans la région de Grenoble chez une directrice de crèche, une certaine Antoinette Brun, qui en avait la garde jusque-là. Mais celle-ci refuse obstinément de restituer les enfants à leur famille. Commence alors une bataille juridique pour la garde des enfants qui va durer de 1945 à 1953.

Les motivations d’Antoinette Brun ne sont pas claires. On ne peut invoquer l’attachement aux enfants dont elle avait officiellement la garde car elle a été très peu en contact avec eux, son rôle s’étant borné à les placer en lieu sûr pendant les derniers mois de l’occupation allemande. Sa détermination par contre ne fait aucun doute. « Le moteur qu’elle a lancé vrombit au-delà de ce qu’elle espérait. Vrombit à Lyon, Paris, Bayonne, à Rome et Lugano, à Lazkano, en Nouvelle-Zélande, en Israël. »

« De Mlle Brun, note Marie Cosnay, retenir les gestes, cacher des enfants juifs en 1941, les sauver en 1944, les cacher et les sauver en 1953 encore (c’est qu’on a, et peut-être avait, qui sait, du salut, une drôle d’idée) et retenir la puissance. Les mensonges, les forces de persuasion, l’armée-maison… dont elle semble tirer les ficelles, sœurs, prêtres, cardinaux, évêques, de proche en proche. De Mlle Brun, retenir la puissance. »

Antoinette Brun se fait d’abord nommer tutrice des deux garçons pour garantir ses droits légaux sur eux et finit par les faire baptiser contre la volonté de leurs parents, qui les avaient fait circoncire et souhaitaient les élever dans la religion juive. Si on baptisait les enfants juifs pendant la guerre pour les protéger des nazis, cette procédure n’a plus de raison d’être après la Libération. Les deux enfants Finaly ne risquent plus rien. Alors à quoi bon les baptiser, sinon pour opérer une sorte de marquage national, une déjudéisation forcée ? Ce qui servait de couverture pendant l’Occupation devient camisole. Le refuge tourne au rapt. Le sacrement du baptême à une sorte de rituel d’exorcisme. Ce qui a été baptisé ne pourra pas être débaptisé. Retournement du marquage des corps par les nazis, le baptême devient une marque, un tatouage, un matricule. Il s’approprie le corps et efface l’âme. « Par-dessus le trait juif, écrit Marie Cosnay, l’eau sacrée du baptême. »

Mais qui s’intéresse en 1953 « au sort de deux enfants qu’on a fait baptiser pour pouvoir se les garder, tout ça est bien joli, je me disais, bien joli, je me demandais ce que je pouvais faire, plus de soixante ans après ces histoires, de ces curés, de ces admirateurs de Maurras, de tous ces pétainistes – et j’étouffais. »

Marie Cosnay reprend alors l’enquête de zéro, comme on rouvre une affaire criminelle close faute de preuves. Il y fallait un fait nouveau : le 2 mars 2020, la réouverture des archives du Vatican du pontificat de Pie XII (1939-1958), lui en fournit l’occasion. Après des décennies de polémiques sur l’attitude de Pie XII face à la Shoah, les historiens disposent enfin des pièces du dossier. Un des premiers à les examiner, avant que le confinement ne les referme à nouveau, c’est l’historien américain David I. Kertzer. Sa conclusion est sans appel : les documents qu’il a consultés montrent que le Vatican a ordonné au clergé français de ne pas rendre les enfants Finaly à leur famille.

Le futur Paul VI et le secrétaire du Vatican, Angelo Dell’Aqua, futur cardinal, sont mêlés de près à l’affaire des enfants juifs baptisés. Giovanni Battista Montini, Dell’Aqua et leur chef, le pape Pie XII, ne voulaient pas dire tout haut ce que pourtant, tout bas, ils soufflaient : ne rendez pas les enfants. Le cardinal Gerlier était l’homme de leur duplicité… « Ni Gerlier, ni Montini, le futur Paul VI, ni Dell’Aqua ne montraient, nous dit l’historien, la moindre empathie pour six millions de Juifs assassinés, pour ce que vivaient quelques milliers d’enfants (cachés, dispersés, pas retrouvés). »

Marie Cosnay ne raconte pas l’Affaire en chroniqueuse, car la bataille des idées ne se mène pas front contre front mais couche après couche. Son roman n’est pas historique mais archéologique.

Marie Cosnay décide de mener son enquête à partir d’un angle mort, comme on « dépayse » une affaire judiciaire. Jusque-là, l’affaire avait été racontée du point de vue de Paris, de Rome, de la région grenobloise ; Marie Cosnay va l’instruire à partir de Bayonne. Elle est originaire du Pays basque, elle y a passé sa scolarité dans un pensionnat catholique où elle a entendu parler des Finaly dans les années 1970.

« J’ai toujours connu, par rumeurs, les périples que vous avez vécus ici, les injustices qui vous ont été faites », écrit-elle à Robert Finaly qu’elle a retrouvé en Israël, où il exerce toujours la profession de pédiatre. « Après avoir lu toute la documentation sérieuse que j’ai pu trouver, les archives ici, celles du Vatican qui sont disponibles, après avoir parlé à quelques descendants des acteurs de l’époque, j’ai écrit un texte, mi-documentaire mi-fiction, qui prend comme point de départ votre kidnapping par les prêtres basques, et qui a l’ambition d’évoquer toute une période (de 1936 à 1953) à cet endroit de frontière. »

En dépaysant l’Affaire à Bayonne, Marie Cosnay choisit de la raconter à rebours de la chronologie, en commençant par la fin, là où l’affaire Finaly a connu son dernier rebondissement : l’enlèvement des enfants et leur élargissement vers l’Espagne de Franco. Tous les fils de l’Affaire se rejoignent ici dans un épisode rocambolesque où les deux enfants sont traînés le long d’un chemin de montagne pour passer la frontière espagnole. « Ils sont accompagnés d’un curé, qui relève la soutane pour avancer dans la neige de février. Les deux enfants sont juifs et la grande Histoire est complètement à l’envers. »

On a préféré les exiler que les restituer à leur famille, les confier au régime de Franco plutôt qu’à la justice française. Autour des deux enfants, une danse macabre s’engage, main dans la main, la résistance et le fascisme, l’antisémitisme et le Vatican, les abbés basques et « l’État Français ». C’est le secrétaire de l’évêque de Bayonne, l’abbé Etchegaray, futur archevêque de Marseille de 1970 à 1985, avant d’être appelé à Rome par le pape Jean-Paul II, qui supervise le passage clandestin des enfants en Espagne dans la nuit du 12 au 13 février 1953. Il remet aux passeurs une lettre pour un ecclésiastique français en odeur de sainteté à Madrid auprès des cercles de pouvoir du général Franco.

« Le psychiatre préféré de Franco, écrit Cosnay, le Dr Vallejo, justifiait l’enlèvement d’enfants à leurs mères républicaines et à leurs pères républicains, puisque la république, le communisme et l’anarchisme, ça se transmet, comme la colère, de mère ou père en fils et filles. Des milliers d’enfants, cuisinés d’idéologie franquiste, sont arrachés à leurs familles, comme Robert et Gérald Finaly, en 1953… à qui on expliquait que des tueurs de Christ, des chasseurs de la nuit voulaient leur faire casser des cailloux sur le bord des routes. Il fallait fuir, disparaître, de ville en ville, par-dessus les frontières. »

Entretemps, l’Affaire est devenue nationale puis internationale, les médias s’en emparent, agités par toutes sortes de réseaux qui flairent un enjeu politique et religieux. Une cohorte d’oiseaux de malheur s’agite sur la tête des enfants : avocats, abbés basques agissant avec la bénédiction du Vatican en passeurs de frontières, en receleurs d’enfants, évêques et rabbins, hommes politiques et chroniqueurs enfiévrés, tous avec une idée derrière la tête, sans un regard pour les enfants pourtant sous leurs yeux. Car l’histoire va bien au-delà d’une simple dispute pour la garde de deux enfants. C’est comme si on rejouait l’Occupation et la traque des juifs à l’envers. Cette fois ce sont des ex-résistants catholiques qui souhaitent arracher deux enfants juifs à leur famille. Vertige.

L’Affaire fait tourner ses acteurs comme des toupies, les détourne de leurs rôles, échange leur place dans la distribution des bons et des méchants, renvoie chacun à ses non-dits. On dirait qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer ni à quelle loi se fier. « Si chez le Dr Vallejo de Franco, chez Franco lui-même, il était question de barrer le père, la mère, la république, les liens, les libertés, pour Antoinette, Antonine, Ibarburu et Narbaitz, il n’y avait qu’un fol enchaînement. De pensées toutes faites à pensées toutes faites, d’habitudes à exaltations sans objet, de mollesses à mollesses… » De mollesses à mollesses ! On se frotte les yeux : n’est-pas ce que Darmanin reprochait à Le Pen ? Ces gens-là ne parlent pas, ils sont parlés.

Dans cette affaire, les mots volent dans une farandole écervelée de préjugés, d’idées reçues, portée par une multitude de personnages, « la joyeuse bande d’exaltés, mafieux, pelotaris, truculents, passeurs et contrebandiers, les abbés basques », celui d’Antoinette Brun, la directrice de la crèche, et de son émissaire Antonine (« les deux A »). Le chanoine Silhouette (ça ne s’invente pas). « À Bayonne, je prends le chanoine Silhouette. Pour son nom. Une ombre dans le collège et dans l’histoire. Sa voix sourde, au téléphone. » Celle de Moïse Keller, mandaté par la famille Finaly, celle de l’avocat Maurice Garçon qui eut cette phrase terrible en 1940 : « Si on n’aime pas les Juifs, c’est qu’ils restent juifs », lui « qui, treize ans après avoir écrit cette phrase, luttait pour que les petits Finaly restent juifs », celle de Jacob Kaplan, grand-rabbin de France de 1955 à 1980. « Il remua l’opinion publique mondiale à propos des enfants Finaly et intervint auprès de nombreuses autorités religieuses catholiques et protestantes. »

La presse de gauche et anticléricale s’implique fortement, ainsi que la presse catholique progressiste qui condamne la conduite d’une partie du clergé. Devant la tournure des évènements, le cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, décide de négocier avec le grand-rabbin Kaplan et avec la famille des enfants. Le 6 mars 1953, un accord est signé au terme duquel les deux enfants doivent être restitués à leur famille le plus rapidement possible. En contrepartie, la famille s’engage à retirer ses plaintes contre les religieux. Le grand-rabbin de France Jacob Kaplan se porte garant de ce retrait.

Placée sous confinement comme tout un chacun, Marie Cosnay s’enfuit hors de ses quatre murs, elle se sauve, suit les enfants sur une route qui sillonne la carte de France mais plus encore le roman national en lambeaux. C’est une poursuite. « Ça court dans tous les sens, la fuite, les noms changent sautent d’une tête à l’autre, les surnoms dont on est généreux au pays basque, mais leurs pas laissent une trace, leur fuite trace un chemin. » Marie Cosnay recueille ces traces, déchiffre les indices, en questionne les non-dits, les secrets inavouables, poursuit une course de relais dont les enfants sont le relai, on se les passe de pensionnat en pensionnat et de soutanes en cornettes et jusqu’aux robes écarlates des cardinaux de la curie romaine.

À la lumière de son récit laser, les visages se décomposent, les certitudes se défont, les rôles s’échangent, même l’identité basque est mise à nu. « Quand Sabino Arana Goiri définissait l’identité basque, à la fin du XIXe siècle, il le faisait contre l’espagnole, souillée de vilenie juive et musulmane. L’espagnole aussi, depuis le XIVe siècle, se cherchait, pour prouver son hidalguía, une lignée de huit parents sans tache, entendons sans Juif. Juifs, Maures, Indiens, Philippins, la race espagnole est une somme de noms et de peuples. Sabino Arana Goiri, à la fin du XIXe siècle, définit, contre l’espagnole sang-mêlée, la race de Biscaye qui n’a jamais, elle, laissé pénétrer le trait juif, même converti. Le trait juif (et musulman) définit la souillure. Juif (et musulman), un trait. »

Marie Cosnay ne raconte pas l’Affaire en chroniqueuse, car la bataille des idées ne se mène pas front contre front comme on pourrait le croire mais couche après couche. Son roman n’est pas historique (une suite de victoires ou de défaites) mais archéologique. Il met à jour les différentes strates du scandale : sous l’affaire Finaly, les intrigues d’Antoinette Brun ; sous ses intrigues, le réseau capillarisé des pensionnats religieux, vivier de jeunes esprits, élevés dans la même foi perverse qui consiste à sauver d’une main et à condamner de l’autre ; sous cette strate, la mafia des réseaux catholiques conservateurs, complices du régime de Vichy et les élites débandées de l’État français qui, ayant tout perdu en terme de pouvoir, se battent pour ce qu’il leur reste d’influence sur les esprits, sans oublier l’internationale des nonces et des archevêques, pilotés par le Saint-Siège, et qui se jouent des frontières idéologiques et des frontières tout court, quand il s’agit de faire passer les enfants de la France de la Libération à l’Espagne de Franco.

Parfois Marie Cosnay tombe sur d’étranges coïncidences qui en disent plus long que de longs raisonnements : « Suivant le fil des caches et des aventures des enfants Finaly, je trouvais, non loin de la frontière, lieu de toutes les transgressions, les gars de la future Organisation de l’armée secrète qui sévirait en Algérie et fomenterait l’attentat du Petit-Clamart. Suivant la trace des enfants Finaly, je trébuchais sur l’OAS, tout près des lits à baldaquin. »

L’affaire Finaly débouche sur une impasse narrative : comment fabriquer un récit national de réparation. Blanchir la légende noire de l’Occupation, absoudre ou minimiser la xénophobie, l’antisémitisme. Ce sont les composantes « catho-pétainistes » de l’État français qu’il s’agit de mettre sous le tapis, l’encombrante Milice française qu’il faudrait oublier, la machine vichyste, policière et administrative française, ses crimes sur tout le territoire, un exemple unique dans les pays d’Europe occupés. « En 1953, huit ans après que la catastrophe mondiale a mis en cendres, avec six millions de Juifs, les parents de Robert et de Gérald Finaly, c’est leur mémoire que les sauveurs eux-mêmes incendient. »

« Les enfants ne sont pas la question », écrit Marie Cosnay, « qu’à part en un jeu de cache-cache, mouchoir à suivre jusqu’aux remparts ou sous déguisement grossier, dans la neige, on ne voit jamais. Robert et Gérald ne sont pas la question. Quelle est la question ? Négociations, accords, rencontres, du pape au ministre de l’Intérieur aux ministres de Franco aux nonces et aux ambassadeurs, les trafics prennent la place de la question, ils sont la question, la question est ce qui roule, fait rouler, d’un lieu à l’autre, de joncs à alluvions, le peu d’idées qu’ont les hommes, d’une date à une autre, d’un désespoir à l’autre. »

C’est sans doute la plus belle découverte du livre. La clé de voûte de l’affaire Finaly n’est pas une idéologie structurée ; elle est portée par des calculs, des intérêts, des trafics qui prennent la place des questions, le « peu d’idées qu’on les hommes, d’une date à une autre, d’un désespoir à l’autre » et qui créerait une sorte de « roulement » automatique des idées reçues. « Ce n’est qu’aux époques d’idiotisme social », écrivait déjà Mandelstam, « que s’établissent la paix ou l’armistice. »

Les enfants ont bon dos. Ils ne sont pas simplement des orphelins séparés de leurs parents assassinés à Auschwitz, ils sont les otages de cette course folle des notions d’identités, d’appartenance nationale et religieuse mais aussi de modèles d’identification… enjeu récurrent d’une guerre des récits, une guerre froide franco-française qui resurgit de décennie en décennie, à tout propos, guerres coloniales, immigration, islam, terrorisme…

Février 1953 : L’affaire Finaly tourne au scandale. Elle va pousser ses feux jusqu’au Vatican de Pie XII, le nouvel État d’Israël qui en fait un enjeu de souveraineté, et jusqu’à l’Espagne de Franco, où les abbés basques (de fameux résistants) vont cacher les enfants avec la bénédiction du régime franquiste.

« Le Saint-Office parle, on est le 27 février, il le fait par la bouche de Mgr Testa depuis Istanbul : d’accord pour le retour des enfants, à condition qu’ils ne soient pas brusquement ôtés à la foi catholique, moitié moitié, et que les plaintes contre les sœurs et les prêtres soient levées. René Cassin veut que l’accord stipule que tout sera oublié si ce n’est le rôle, magnanime, de l’Église – il n’en est pas question, dit le rabbin Kaplan. »

L’oublié toujours !


Christian Salmon

Écrivain, Chercheur au Centre de Recherches sur les Arts et le Langage

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