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Sans oublier et sans souffrir – à propos de Venir après de Danièle Laufer

Journaliste

Que reste-t-il de la Shoah pour celles et ceux qui « viennent après » ? Si beaucoup a été dit et écrit sur la passation des mémoires dans l’espace public, la question des transmissions intimes, des manières de dire – ou de ne pas dire – lorsque l’on est parent et de s’approprier lorsque l’on est enfant, ont paradoxalement peu été interrogées. La journaliste Danièle Laufer consacre un récit-témoignage à la façon dont se vit le traumatisme lorsqu’il s’exprime « par procuration » et ouvre de nombreuses de pistes pour penser les mécanismes de réfraction de la Shoah dans l’espace privé.

Elles et ils sont sociologue, pneumologue, psychanalyste, entrepreneur, pharmacienne, galeriste, professeure d’anglais, cinéaste, psychologue, économiste, journaliste… nés entre 1943 et 1965 (ok boomers !), d’horizons, âges, sensibilités et personnalités différents, mais toutes et tous ont en partage un immense point commun : elles et ils ont été élevés par un ou deux parents déportés et témoignent de cette expérience unique, étrange, douloureuse, féconde, dans Venir après de la journaliste Danièle Laufer, elle-même fille de.

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Beaucoup de livres, de films, d’œuvres d’art, d’articles, de fictions et de documentaires ont été consacrés à la Shoah et à ses victimes, mais assez peu à la génération d’après qui a grandi sous la terrible ombre portée de cet événement. À quoi ressemble une enfance (et une adolescence) quand vos géniteurs sont des survivants revenus de l’enfer ? Le traumatisme migre-t-il de génération en génération ? Comment gérer un tel héritage ? Qu’en faire ? Comment le transmettre ?

Ces questions qui se posent à toute la société post-Auschwitz d’un point de vue historique, mémoriel, sociologique et politique, se posent avec encore plus d’acuité et sur un mode plus à vif, intime, psychologique, psychanalytique, existentiel, à ceux qui en ont été les héritiers directs. Dans son propre récit qui est le fil conducteur de tous les autres récits de celles et ceux qu’elle a interviewés, Danièle Laufer le dit et redit : sa vie réelle et psychique a été marquée par la déportation de sa mère, elle en a conçu une angoisse, une insécurité, une souffrance, un manque affectif et une fragilité qui l’ont accompagnée tout au long de son existence jusqu’à ce jour (et que l’écriture de ce livre apaisera peut-être).

Le premier obstacle auquel se sont confrontés les enfants de rescapés fut le silence. Ils sentaient plus ou moins confusément qu’ils étaient différents de leurs copains d’école, que leur famille était différente, qu’un drame avait eu lieu quelque part à


 

Serge Kaganski

Journaliste, Critique de cinéma

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