La littérature en exil – sur Tu parles comme la nuit de Vaitiere Rojas Manrique
Vaitiere Rojas Manrique est née en 1989 dans les Andes vénézuéliennes. En 2008, son pays subit de plein fouet la crise économique : les pétrodollars ne suffisent plus, l’équilibre chancelant est rompu et la population s’enfonce dans une périlleuse pauvreté. Les plus chanceux parviennent à fuir et s’offrent ainsi le cadeau empoisonné de l’exil.

Tu parles comme la nuit pénètre, par la forme épistolaire, la profondeur de cet exil et le bouleversement existentiel qu’il signifie. L’autrice, son mari Alberto et leur fille Ale ont fui. Ils vivent maintenant dans la banlieue de Bogota, en Colombie.
Écrasée par sa solitude, l’autrice adresse. Elle s’adresse à un certain Franz, qui ne lui répond pas – ou dont nous ne lisons pas les réponses. Avec la simplicité, la pudeur et l’humour de celles et ceux qui savent qu’ils ont encore à perdre, elle (se) raconte et se confie. Éloignée de son pays et des siens, elle subit aussi une forme d’expatriation intime : elle souffre d’une profonde dépression, et traîne son esprit malade chez des spécialistes incapables de la diagnostiquer et de la soulager.
Mais Tu parles comme la nuit n’est pas seulement le récit intime et bouleversant de ce double exil. Les lettres de l’autrice à Franz constituent aussi le précieux témoignage d’une situation que, l’écrivaine en est persuadée, les historiens documenteront dans quelques années. « Les historiens et les savants écriront là-dessus et tenteront d’expliquer ce qui pour l’instant n’est que chaos, cauchemar. » Sans rien compromettre de sa richesse littéraire, le texte se fait donc ainsi document – au sens historique du terme. Avant les historiens et les savants, et avec toute la subjectivité dont elle est capable, l’écrivaine documente l’« une des pires crises migratoires d’Amérique du Sud », la grande vague de départs vénézuéliens vers la Colombie dans les années 2010.
À présent éclaboussée jusqu’aux os par l’histoire, l’écrivaine se souvient.
Vaitiere Rojas Manrique pose ainsi ses mots