L’histoire par immersion – sur Vivre dans l’Allemagne en guerre de Jérôme Prieur
Dans Vivre dans l’Allemagne en guerre, Jérôme Prieur filme des enveloppes qui ont été décachetées depuis longtemps, entre 1939 et 1945, des lettres jaunies, des carnets ouverts sur des pages remplies de mots en langue germanique.

Une patine s’est déposée sur le papier et l’encre a un peu pâli. Cependant, il en émane encore de subtiles vibrations que la caméra, en de lents travellings, s’emploie à saisir. Comme le suggère le documentariste dans un passionnant dialogue qu’il a mené avec l’archéologue Laurent Olivier pour la revue Trafic [1], leurs deux activités n’étant pas sans points convergents : « Ces objets doivent continuer d’émettre un rayonnement, fût-il faible. »
Au vrai, ces ondes ne sont perceptibles que parce que le film préserve au téléspectateur une place pour déployer son imaginaire. Ce qui lui permet, 80 ans plus tard, d’avoir la vision de la main courant sur le papier en train de rédiger une de ces lettres ou notes personnelles, ou de sentir l’accélération du battement cardiaque due à l’émotion de celui ou de celle qui écrit des messages d’amour ou des pensées interdites.
Dans les émissions historiques habituelles, les images servent d’illustration à un commentaire surplombant et didactique. S’il s’agit de délivrer une leçon, un savoir, pourquoi pas ? Le problème est que cette manière s’est imposée comme une norme télévisuelle. Comme l’est devenue l’affreuse colorisation des images d’archives qui, avec le changement de format qu’on leur fait trop souvent subir, est une atteinte à leur intégrité. Autrement dit, un mensonge. Jérôme Prieur a opté, depuis de nombreux films déjà, pour une autre voie.
Vivre dans l’Allemagne en guerre comporte pourtant bien une voix-off, mais pas de commentaire. Elle est composée de plusieurs voix, portées par des comédiens, celles des auteurs des susdites lettres et pages de journaux. Leurs noms : Lisa de Boor, Jochen Klepper, Mathilde Wolff, Ruth Andreas-Friedrich, Ursula von Kardoff, Irene Reitz, qui écrit à son