Jacques Bouveresse, la vie des mots
Trois souvenirs de ma jeunesse
L’anniversaire du 10 mai 1981, déjà nostalgique en soi, a enchaîné sur la mort de Jacques Bouveresse, dur rappel du changement d’époque, d’ère même. Les années 1980 sont bien révolues, comme le suggère leur présence dans les fictions d’aujourd’hui. L’arrivée de la gauche au pouvoir et la jubilation, comme le sentiment d’empowerment qu’elle apportait, à celles et ceux notamment qui comme moi avaient voté pour la première fois ; les valeurs politiques progressistes que Bouveresse aura incarnées et défendues toute sa vie et qu’il retrouvait chez ses penseurs de prédilection (du cercle de Vienne à Musil, Bourdieu….)… tout cela est bien loin. Et pourtant toujours vivant dans la pensée, car pour tous ceux et celles, si divers, qui l’ont connu, la puissance de son enseignement ne faiblit pas.

J’ai lu Bouveresse d’aussi loin que j’ai lu Wittgenstein. En 1978 élève en hypokhâgne à Bordeaux, je lisais Le mythe de l’intériorité – conseil de mon professeur de philo, qui était un de ses camarades de promotion. Je suis arrivée au début de l’âge adulte dans les années 1980, ces années Mitterrand qui ont été transformantes pour notre forme de vie mais aussi excitantes intellectuellement, par l’ensemble des possibles inédits qui s’ouvraient alors dans un monde hérité des années 1970 – ce sont les années où j’ai lu Wittgenstein, commencé à écrire sur Quine, me passionnais pour Austin, découvrais l’anthropologie avec Claude Imbert. Tout cela était minoritaire et même assez bizarre à l’époque et heureusement nous avions un guide, ces livres de Bouveresse qui à la fois soutenaient et éclairaient dans ces explorations, permettaient de découvrir encore tel auteur, lu grâce à lui qui l’avait lu d’abord. C’est lui qui m’a parlé pour la première fois de Stanley Cavell, dans un séminaire de master, mais aussi, dans les années 1990, de Cora Diamond, Charles Travis, tous les penseurs qui comme lui ont changé ma vie. C’était le meilleur professeur que j