Musique

Le son de N’Tomikorobougou – sur Kôrôlén de Toumani Diabaté et Djourou de Ballaké Sissoko

Journaliste

Harpe à gros ventre, autosuffisante, capable de produire simultanément la trame rythmique, l’accompagnement et la mélodie, la kora fait le job d’un orchestre à elle toute seule. Deux de ses plus grands virtuoses reviennent aujourd’hui, l’un accompagné du London Symphony Orchestra, l’autre de Camille, Oxmo Puccino et Feu ! Chatterton. Kôrôlén, de Toumani Diabaté, et Djourou, de Ballaké Sissoko, offrent de puissantes déambulations dans des mondes qui se mêlent sans heurts.

N’Tomikorobougou est un quartier périphérique de Bamako bâti par Modibo Keita, premier président du Mali indépendant, au début des années 1960. Il se compose d’une succession d’appartements distribués sur deux niveaux autour d’étroites cours intérieures. S’y déroule une vie communautaire inchangée depuis son inauguration dont les principaux temps forts sont la préparation des repas, requérant le goût des dames, et les causeries d’après repas, qui avivent le bagout des messieurs.

Dès sa construction, Modibo Keita, socialiste dans l’âme, avait souhaité réserver ces nouveaux logements à deux catégories de fonctionnaires, les footballeurs et les musiciens, parce qu’ils symbolisaient à ses yeux le dynamisme athlétique et culturel d’une nation alors en pleine reconstruction post coloniale.

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À l’époque où le footballeur Salif Keita, un enfant du quartier, faisait les beaux jours de l’A.S. St Etienne, deux petits voisins, Toumani Diabaté, fils de Sidiki, et Djelimoussa Sissoko dit « Ballaké », fils de Djelimadi, se retrouvaient dans l’une des cours pour s’exercer à la pratique d’un instrument d’une étrangeté animale : une grosse calebasse emmanchée d’un long cou sur lequel court un faisceau de 21 cordes en nylon. Cette harpe à gros ventre appelée « kora » était le gagne pain des familles de nos deux virtuoses en herbe depuis des générations. Au point que l’association se perd dans la nuit des temps, l’origine de l’instrument relevant elle-même d’une légende…

Au 13ème siècle, un prince guerrier Nyancho se serait épris d’une femme à l’exceptionnelle beauté qui, pour lui échapper, trouva refuge dans une grotte d’une montagne du Kabou, l’actuelle Guinée Bissau. Sûr de son fait, le militaire lance alors un filet de pêche dans la caverne mais ne ramène dans ses rets qu’une harpe recouverte d’une peau (de vache forcément). Depuis, la kora se charge de donner une issue heureuse à cette quête d’harmonie entre les éléments masculin et féminin.

Les familles Diabaté et Sissoko


 

Francis Dordor

Journaliste, Critique musical

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