Littérature

Un irréductible pirate – sur trois ouvrages de Michel Leiris

Écrivain

Michel Leiris (1901-1990) est l’un des écrivains les plus extraordinaires et peut-être l’un des moins lus du XXe siècle : si L’Âge d’homme est devenu un classique de l’autobiographie, il n’est pas sûr que les quatre tomes de La Règle du Jeu, ce chef d’œuvre, soient assez reconnus, et il serait dommage que le Journal reste réservé aux seuls initiés. Sa reparution dans une nouvelle édition est l’occasion de mesurer l’actualité de ce qu’on pourrait bien appeler une œuvre-modèle.

Voici donc une nouvelle édition du Journal de Michel Leiris : de 1922 à 1989, le parcours d’un siècle, du surréalisme en son âge d’or naissant à la chute du mur de Berlin, ou presque, puisque l’ultime notation de ce journal, un peu énigmatique, est datée du 7 novembre 1989 : « Vouloir interrompre [cette vie], [pas] très prudemment, ne vient que de moi. »

Le dernier mot est « moi » : mais le dernier mot de quoi, exactement ? Une vie, une œuvre, selon la formule traditionnelle dont Leiris (mort en 1990, à 89 ans, sans avoir eu la prudence, donc, de renoncer aux Rothmans rouges ni au Sancerre blanc) s’est employé à dynamiser et dynamiter le sens, suivant des procédures variées, où toujours domine l’idée de « transmutation » (son opération fétiche), qui fait du langage l’instrument d’une sorte de magie méthodique au service de la vérité.

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Poésie, journal, correspondance, autobiographie : tout tourne autour de cette nécessité vive, exigeante également pour le lecteur, puisque les quatre tomes de La Règle du Jeu (Biffures, Fourbis, Fibrilles, Frêle bruit, réunis naguère dans une belle Pléiade dirigée par Denis Hollier et désormais rassemblés en coffret dans la collection « L’Imaginaire ») supposent un engagement dans une aventure au long cours…

Nul « pitch » ne peut nous y guider, sinon le principe – poétique – d’un langage-tangage agissant un peu à la manière d’une drogue et dont les modulations finissent par modeler, comme par contamination, les mouvements de notre propre cerveau. Pour le dire simplement : il y a chez Leiris, pourtant parfois réputé difficile, quelque chose de franchement addictif.

Cet effet d’accoutumance, qui peut aller jusqu’au mimétisme, on en devine les traces dans la très éclairante préface de Jean Jamin au Journal, lui qui a fréquenté l’auteur « presque quotidiennement, de 1976 à 1990, que ce soit au musée de l’Homme ou, dans les derniers temps, au café Le Grand Cluny (qui se trouvait à l’angle du boulevard Saint-Germain et du boulevard


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire