Littérature

La beauté mensongère – sur Jusep Torres Campalans de Max Aub

critique

La republication de la traduction française de Jusep Torres Campalans permet de découvrir une plume étrangement peu connue en France. Max Aub y esquisse le portrait d’un faux-peintre cubiste catalan où humour noir et anarchisme vivace et résistant se côtoient. L’ouvrage dépasse le pastiche pour révéler toutes les potentialités littéraires de l’expression « prendre des vessies pour des lanternes » : être dupé par les apparences, c’est oser aller rechercher la beauté dans son mensonge.

Max Aub est inconnu en France. Faites l’expérience, prononcez son nom, à part quelques gens du métier et quelques huluberlus, personne ne saura lui attribuer de patrie ni de dates. Celles-ci sont pourtant faciles à retenir puisqu’elles couvrent une grande partie du XXe siècle : 1903-1972. Sa patrie ? Il en a plusieurs. Son père était allemand, sa mère était française, mais l’histoire du siècle dernier fut impitoyable et obligea de nombreux Européens et Juifs, européens au carré, dont Max Aub Mohrenwitz, à se déplacer.

En résumé, voici ses ports d’attache : naissance à Paris ; installation à Valence, en Espagne, en 1914 ; internement en France puis en Algérie sur ordre de Vichy ; exil définitif à Mexico en 1942. Date de parution originale de l’ouvrage dont nous allons parler : 1958.

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Max Aub avait du génie, il fut homme de théâtre, écrivain, collaborateur de Malraux, ami et partie prenante des avant-gardes du XXe. Comme il faut bien avoir une langue maternelle, il embrassa le castillan pour ses nombreux travaux littéraires. Il fit plus, il adopta et épousa sciemment la culture espagnole, histoire catalane et anarchisme compris, qu’il déchiffra et dédoubla dans sa vie et son œuvre.

Jusep Torres Campalans en est la preuve. Le titre du livre est le nom d’un célèbre peintre cubiste, ami de Picasso et catalan comme lui. Les sonorités de son prénom et son double nom ne sont-elles pas outrageusement catalanes ? Elles le sont tellement qu’elles mettent la puce à l’oreille. Trop beau être vrai. Il y a un hic, se dit-on, une voyelle qui détonne. De fait, Jusep Torres Campalans n’a jamais existé. Il a dû naître sur un bout de nappe déchirée dans un bistro.

« Torres Campalans a toujours écrit son nom avec un “u”, Jusep au lieu de Josep, comme l’exigeait sa langue. Il se fiait à son oreille, ou se livrait à son seul bon plaisir, comme il l’a toujours fait. J’ai respecté son entêtement. » Nous respecterons celui de son géniteur, car son trompe l’œil biographique est un ch


 

Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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