Art Contemporain

Le Pavillon des sources – sur Les Centres Passagers de Virgile Fraisse au Parc Saint Léger

Critique d'art

À la fin de cette semaine, le Centre d’art contemporain du Parc Saint Léger fermera définitivement ses portes après vingt ans d’existence. Il est l’une des plus belles réussites de la politique de décentralisation culturelle et la dernière victime en date de la situation exsangue des centres d’art publics, alors qu’éclosent toujours plus de fondations privées. Virgile Fraisse, dernier artiste en résidence, s’empare du sujet pour raconter, entre rires, colère et larmes, cette situation dramatique, reflet d’un secteur professionnel mal structuré et peu protégé.

On accède au Parc en passant sous une arche bleue, vieillie par le temps et les intempéries. Dessus est marqué « Parc Départemental de Pougues-les-Eaux », un lieu qui est devenu, au fil des années, à la fois légendaire et improbable, un des centres d’art les plus prolifiques des années 2000, logé dans un écrin de verdure romantique en plein milieu de la diagonale du vide.

Ancienne station thermale en territoire nivernais, le Parc Saint Léger s’est construit comme un espace de production, de diffusion et d’exposition à quelques kilomètres de Nevers. L’ensemble des missions d’un Centre d’art soutenu par des tutelles nationale, régionale et départementale, celles qui permettent à la création de rayonner mais aussi aux artistes de travailler au plus près des publics dans leur diversité et leur mobilité. Le Centre est une ancienne usine d’embouteillage, rénovée en 1998 par les architectes Vincent Cornu et Benoît Crépet.

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En passant cette arche le samedi 12 juin 2020, on pouvait se rendre au dernier vernissage du Parc Saint Léger, et y voir l’exposition Les Centres Passagers, de l’artiste Virgile Fraisse. L’équipe du Centre d’art a appris la fermeture durant la résidence de création de ce dernier, un sujet dont il s’est saisi pour nous raconter cette situation dramatique, mais aussi pour faire état d’un enjeu méconnu qui frappe plusieurs structures en France ces dernières années.

De fait, dans les deux salles de son exposition, l’artiste met en scène le Centre comme un acteur de son processus de création, à la fois structure et personnage, il accompagne le spectateur, le guide et le désoriente. Au rez-de-chaussée c’est une histoire de la structure et de ses acteurs, son architecture, les artistes qui en ont fait l’histoire puis, à travers un ensemble de témoignages, les méandres des discussions politiques qui ont conduit à sa fermeture entre malaise sectoriel et contraintes décisionnelles. Un second volet de son projet nous permet de découvrir le film Les Centres Passagers, où se racontent sous nos yeux les dernières semaines du centre, guidé par une narratrice truculente qui allie nostalgie, pédagogie et agit-prop.

Ma petite entreprise

La complémentarité des deux volets offre à cette exposition une puissante mélancolie. Nous traversons successivement l’architecture du lieu, certaines images d’archives guidées également par la voix des différents acteurs du Parc. Sans qu’elles soient nommées, nous pouvons côtoyer les missions et les actions qui ont fait de ce Centre une puissance départementale de la culture, tout comme son statut de symbole d’une nouvelle décentralisation culturelle. Celle-là même qui a donné au statut de résidence ses lettres de noblesse à la fin des années 90 et au début des années 2000, avec un site équipé d’atelier-logement et d’un cadre hors  norme.

En visitant l’exposition, c’est un enjeu à la fois politique et culturel qui s’expose devant nous. Il s’agit également de questionner une filiation racontée ici par un groupe d’enfants chargés d’imaginer puis de dessiner le centre d’art qui devrait prendre la suite de celui-ci.

Le Quartier à Quimper, le Magasin à Grenoble, les Chapelles à Chelles ou encore le Parc Saint Léger, ces structures à la fois de production, de résidences et d’exposition nous forcent à penser, au lendemain d’une crise du non-essentiel, notre rapport et notre lien à l’accessibilité de la culture, ses acteurs et ses publics. De fait, Les Centres Passagers nous expliquent à leur manière que les centres d’art meurent aussi.

Le programme et la démonstration de Virgile Fraisse, en parcourant les espaces, les archives et les territoires d’un centre d’art nivernais lie intimement l’architecture au discours de l’artiste. Le Centre d’art, le pôle de résidence et le Pavillon des sources sont les vecteurs de témoignages qui s’imbriquent avec la plasticité de l’œuvre. L’ancien Parc thermal a grandi avec une nouvelle approche du territoire, plaçant certains acteurs culturels face à « une liberté incroyable » tel que le raconte dans son témoignage l’ancienne directrice du site, Sandra Patron aujourd’hui en charge du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux.

Sur un trapèze

À l’effarement de l’annonce de la fermeture du Centre d’art du Parc Saint Léger a succédé une forte colère, laquelle est sensible dans l’exposition Les Centres Passagers. Une colère qui fait aussi écho à l’état de la ville, dont la succession de fenêtres murées en introduction de la vidéo se fait le témoin attristé. « Nous ne sommes un enjeu pour personne » nous raconte la voix-off sur ces mêmes images. Revenir à Pougues-les-Eaux pour en constater la fermeture, c’est aussi faire état d’un changement de paradigme, parvenir à regarder collectivement l’échec d’un modèle politique, d’un montage qui s’est imaginé sur un territoire d’exploration.

De fait, la menace qui pèse aujourd’hui sur un écosystème artistique, sur le cercle vertueux de la création tel qu’il est présenté au sein des structures de production et de diffusion fait également état d’un autre modèle à trouver. Paradoxalement, à cette fragilisation d’un secteur artistique public répond l’ouverture (encore récente) de fondations privées. Quels constats faire, à cette échelle, de la situation exsangue des centres d’art en France, comme cela est souligné dans les entretiens passionnants que l’artiste a menés et qui sont diffusés en dialogue avec les maquettes des Centres passagers et de l’archive des luttes ?

La situation du Parc Saint Léger n’est pas la première et ne sera pas la dernière, comme cela est rappelé dans l’exposition. Alors, quelles leçons tirons-nous du « passage » de ce Centre, de sa construction mais aussi des souvenirs émus et émouvants dont témoigne ici Franck Balland, Léa Merit, Anna Zachmann ou encore Céline Poulin qui ont accompagné le Centre d’art pendant plusieurs années ? Aux lendemains chantants ont répondu les journées sombres de structures qui se sont fragilisées, avec des directions et des équipes à la polyvalence extrême, et cela dans un champ professionnel trop faiblement organisé qui peine à arriver à maturité.

Signe des temps

C’est dans la salle du rez-de-chaussée de l’exposition de Virgile Fraisse que s’est cristallisé le déchirement de ce moment de fermeture. Accompagné d’une jeune enfant pour le dernier temps de cette structure, nous regardons les quatre sculptures posées sur socle devant une histoire du lieu qui s’affiche devant nous, déjà passée dans l’histoire. Michèle, jeune retraitée du Centre qu’elle a accompagné pendant 22 ans, commence à nous raconter ses souvenirs. En filigrane, nous regardons sur son visage sur les images d’archive du Parc Saint Léger. C’est dans ce lien surprenant entre le documentaire et le réel qu’un moment se passe, et l’acteur du site, l’histoire vivante devant nous, laquelle ne parvient pas à contenir son émotion. « Ne vous inquiétez pas ! Ça ne redeviendra pas une usine de bouteille ! » lui lance l’enfant. Entre rires et larmes, Michelle passe à autre chose.

Doit-on voir dans cette fermeture une opposition qui a marqué les mois derniers entre centre et périphérie ? S’agit-il d’une crise géographique ou d’une crise des politiques publiques culturelles ? L’exposition de Virgile Fraisse n’apporte pas de réponse à ces interrogations légitimes. La diversité des implantations géographiques des Centres passagers (Grenoble, Quimper, Chelles et Pougues-Les-Eaux) nous empêche toute forme de lecture typologique de ces enjeux au profit d’une lecture de filière.

« C’est un Centre d’art, un lieu vivant, avec des résidences, des rencontres, évènements. À quoi bon fermer un lieu qui n’a fonctionné qu’une vingtaine d’années ? »
Cette question, posée par la narratrice de la vidéo de Virgile Fraisse, semble nous rappeler à son corps défendant la jeunesse de ces réseaux mais aussi sa relative ancienneté. En effet, c’est également dans les errements d’une direction que se trouve souvent la condamnation d’un site comme le Parc Saint Léger, dans la difficulté d’une profession à se structurer et à s’émanciper d’un individualisme forcené doublé d’un désir de reconnaissance, souvent limité à ses amis proches.

« Nous devons investir dans une nouvelle économie qui investisse directement dans notre façon d’être. Non-essentiel vous dites ? De l’argent il y en a ! Pourquoi n’arrive-t-il pas jusqu’à nous ? »
À l’écoute de la suite de ce discours nous saisissons toute la convergence des luttes qui s’est construite dans la fermeture de ce site. En effet, la récente crise du Covid a durablement fragilisé le secteur des arts visuels et tout particulièrement les artistes qui se sont retrouvés, pour nombre d’entre eux, sans ressources du jour au lendemain, dans un secteur professionnel mal structuré et peu protégé.

En croisant ici cette problématique de la fermeture du Centre avec le mouvement des Gilets Jaunes, comme le fait Sandra Patron dans son entretien avec l’artiste, nous assistons à la mise en perspective d’une situation de précarité d’un territoire (et de ses services publics) au regard d’une profession à son tour laissé de côté durant les mois précédents de la crise sanitaire.

Fontaine, je ne boirai pas de ton eau

Alors, comment regarder aujourd’hui le décalage qui sépare l’ouverture récente de la fondation Luma, l’ouverture à peine moins récente de la fondation Pinault, le bâtiment sans commune mesure de la fondation LVMH au regard de la démarche d’un site comme le Parc Saint Léger ? Avec lui, c’est un département et une demi région qui se trouvent dépossédés de toute établissement de production, de médiation et de diffusion sur des dizaines de kilomètres à la ronde. C’est aussi cette histoire que raconte l’exposition de Virgile Fraisse, celle du maillage territorial d’un centre d’art, comme le rappelle Céline Poulin :
« Il s’agit aussi d’aller au-devant des gens dans nos projets. Nous avons travaillé avec le Parc à l’échelle du département, ce qui nous a permis de déplacer nos pratiques, d’expérimenter d’autres approches de la création contemporaine. »

Un goût amer nous reste dans la bouche à la fin de la visite et à la fin de la vidéo. À la beauté des archives et du site répond la sidération de laisser tomber un lieu, son histoire, son Pavillon des sources devenu symbole d’une idéale transparence. Sommes-nous à la naissance d’une histoire-symptôme qui devrait rebattre les cartes du champ des arts plastiques et des arts visuels ? Depuis les publics jusqu’aux créateurs ?

En remontant dans la voiture sous un soleil de plomb, laissant derrière cette arche si souvent franchie, je me dis qu’un secteur professionnel qui écrit son histoire vingt années après le début de celle-ci et qui semble condamné à mesurer son bien-être au travail est un peu, à son tour, condamné à se repenser de fond en comble.

 

Les Centres Passagers, Virgile Fraisse, 2021, jusqu’au 4 juillet 2021, dernière exposition avant fermeture du Centre.
Centre d’art contemporain du Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux. Ouvert du mercredi au dimanche, de 14h à 18h ou sur rendez-vous, jusqu’au 4 juillet.

 


Léo Guy-Denarcy

Critique d'art