Littérature

Sur le qui-vive – à propos de Hors gel d’Emmanuelle Salasc

Critique

Le nouveau roman d’Emmanuelle Salasc – dont les précédents sont signés Emmanuelle Pagano – occupe une place particulière dans la vogue des ouvrages actuels qui jouent des codes de l’anticipation, invitant à jeter sur le réel un regard décalé et lucide. Géographique, familial, politique et poétique, Hors gel est un grand texte sur nos peurs, intimes et environnementales. Il flirte avec la tentation collapsologue, le roman social, le récit familial et le thriller psychologique, tendu par l’admirable et périlleux effort de ne pas renverser le bol de « l’eau sale de la peur ».

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2056. Nécessité faisant loi, les écologistes ont pris le pouvoir dans le monde. Après les grandes pandémies des années 2020, l’accélération des désastres écologiques, la sixième extinction de masse et la dégradation dramatique des conditions de vie liée à la pollution et au changement climatique, il est devenu crucial d’imposer des règles strictes afin d’empêcher, au bas mot, l’extinction de l’humanité. Aux manettes donc, une « écologie radicale » qui ne parvient à préserver le fragile équilibre du vivant qu’au prix de limitations drastiques et d’une surveillance généralisée des déplacements et des usages de la population.

Rien de spectaculairement irréaliste, on le voit, dans cette fiction qui paraît anticiper à peine sur les certitudes et les appréhensions contemporaines. D’autant que la situation dans laquelle vit la narratrice est parfaitement actuelle : le glacier de Tête-Rousse en Haute-Savoie, dont la rupture de la poche d’eau souterraine avait submergé la vallée en 1892 et causé 2 000 morts, menace à nouveau, en 2021, de déborder. Le roman s’ouvre sur l’une des alertes qui rythment depuis toujours la vie de la narratrice, de sa famille et des habitants de la montagne et de la vallée : lorsque l’alarme retentit dans chaque bâtiment, envoie ses messages d’urgence à chaque téléphone, de nuit comme de jour, il faut se lever, se saisir du sac de secours qui patiente dans l’entrée et marcher jusqu’à sortir de la zone inondable. Jusqu’à présent, il s’est toujours agi d’un exercice.

Dévisser

La narratrice vit seule dans l’ancienne grange de ses parents, où elle accueille ponctuellement des touristes en mal d’écotourisme, d’air pur et de montagne sauvage, face à l’abrupt sentier qui monte au glacier, derrière une baie vitrée offrant un panorama à la beauté spectaculaire. Les deux menaces qui avaient reflué depuis quelques années refont soudain et conjointement leur apparition : le risque de rupture de la poche des eaux du glacier. Et sa sœur.

Clémence, sa «


Sophie Bogaert

Critique , Éditrice

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