Littérature

Kystes et constellations – sur G.A.V. de Marin Fouqué

Critique

Après l’abribus dans 77, le commissariat ; un autre point d’intersection, où se font écho d’une cellule à l’autre des vies qui n’ont en commun que l’enfermement, non seulement physique, mais aussi, plus symboliquement, dans une forme de déviance pré-écrite. Le deuxième roman de Marin Fouqué prend la forme d’un huis clos brutal, rude, saccadé, et l’écriture est à l’image de ce qui est décrit : une polyphonie de corps, de sensations, dans la nuit froide et violente passée en garde à vue.

C’est un second roman plus ancré que nous livre Marin Fouqué avec G.A.V., paru aux éditions Actes Sud. Plus ancré dans une diversité de vies, quand 77, publié par les mêmes éditions en 2019, nous laissait demeurer dans la bulle étrange d’un abri de bus, coincé.e.s dans le paysage périurbain de la Seine-et-Marne et dans une latence de l’adolescence où les heures s’étirent dans les os, sans qu’on sache bien ce qu’elles nous réservent.

Plus ancré dans l’espace clos, hermétique et brutal d’un commissariat en garde à vue, avec pour seule porosité celle des souvenirs et des désirs, des monologues intérieurs et des échanges vite avortés. Les quelques personnages qui s’y croisent le temps d’une nuit et d’une journée sont, nous avec, le jouet de cette pièce, et les pièces du puzzle qui se compose au fil du livre. Les fragments s’emboîtent les uns dans les autres, par des connexions imprévues, par erreur parfois, par hasard quand même le hasard paraît être un trop grand espoir.

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Tout est finalement déjà écrit depuis le début : la garde à vue d’une poignée de personnes en quelques heures, les procédures et les méthodes qui sont toujours les mêmes, variations et déviances incluses, et par-dessus tout sont déjà écrites les histoires de chacun.e des interpelé.e.s, toutes écrites dans l’œuf comme les phrases des pères enferment dès la naissance les enfants, comme la couleur de peau et la cité dans laquelle on nait déjà presque en garde à vue, comme la classe sociale et l’origine qui nous collent à la peau. Tout cela et tous.tes inscrit.e.s déjà dans les rouages du système patriarcal dont Marin Fouqué explore les murailles et les pourrissements, l’atteinte généralisée sur ses personnages.

Une poignée de personnes suffit au constat : elle opère comme une constellation de consciences plus ou moins enfermées et de destinées plus ou moins fortunées, à travers lesquelles sonder la société là où on ne la voit jamais, là où il n’y a ni temps ni envie à leur consacrer.

Au fond d’un entrepôt de livraison, K-Vembre : une intérimaire qui tente de se défendre des violences patriarcales ; au fond de la nuit ivre morte, un cadre embarqué pour dégradation de l’espace public en pleine ébriété, plutôt que pour les viols répétés qu’il commet sur les victimes inconnues des bars qu’il fréquente. Dans une manifestation, des jeunes loups en guerre contre l’autorité, mais qui ne manquent pas de fonctionner en meute à la recherche d’un mâle alpha pour les guider ; un vieux manifestant pour l’écologie, fils de harki, cible des violences des jeunes loups d’un côté et de l’uniforme de police de l’autre. Et aussi Angel, un fils du 93 connu du commissariat, qui n’en est pas à sa première garde à vue. Ce n’est pas une balance, mais on espère lui faire cracher le morceau à coups d’humiliation. Puis Issa, un tout jeune ami d’Angel, emmené par la police, emmené trop loin, beaucoup trop loin, au mépris de son innocence et au fracas de son enfance. Et puis un autre gamin, la tête vidée par le harcèlement qu’il subit de toute part jusqu’à l’école et jusque dans son corps, la tête remplie par les armes qu’il tente de se forger contre tout cela et tout ce qu’il trouve à portée d’oreilles et de mains à cet usage. Un policier également, de ceux qui auraient pu et qui pourraient passer le pas en quittant la vie avec l’uniforme, l’arme qui sert l’un servant à l’autre ; lui lit Dante, et dans la discrétion des nuits de garde, écrit des poésies.

Toujours seul.e.s

Spatialement, les personnages sont répartis dans les différentes cellules du commissariat. D’une pièce à l’autre, ils entendent les voix des co-détenus, ou plutôt leurs bruits et les interactions avec les autres et les policiers. Ces bruits et gestes sont sommaires et violents ; faire enlever les lacets des chaussures, retirer les effets personnels, fouiller un corps, en écraser un autre sous le poids de son autorité. Les paroles sont des blagues, toujours humiliantes, les pavaneries des jeunes manifestants qui se serrent les coudes pour prouver qu’ils ont des couilles, leurs chants. « S’entendre en meute pour se sentir fort, c’est comme une drogue. »

Les paroles n’existent globalement que pour prouver une forme d’existence désespérément agressive, par le biais de l’ascendant qu’elles peuvent créer sur les autres comme la demande faite au policier d’aller pisser espère faire prendre pour un affront ce qui n’est que le signe d’une privation soudaine de liberté et d’intimité. Au fond toutes demeurent misérablement triviales, humaines dans ce qu’elles ont de plus petit : un mélange de besoins vitaux de base et de besoins psychologiques touchant aux relations humaines dans ce qu’elles ont de plus primaire.

Nous lecteurices passons de l’un.e à l’autre, de l’avant à l’après, en reconstituant au fil de la narration les parcours de chacun.e et leur présent dans cette salle de garde. Rien n’est immédiat ; la lenteur du dévoilement fait à la guise des flux de pensées rappelle l’autre lenteur des procédures administratives et des attentes qui suivent leur cours : une nuit, une journée en garde à vue. Qu’est-ce qui, dans cet espace et ce laps de temps, pourra se dire de chacun.e ? Seulement peut-être ce qui suffira à occuper, faire passer ce moment qui passera comme les autres, comme d’autres poignées de personnes passeront la nuit dans ces cellules où les couvertures ne sont changées qu’une fois par mois ou à peine.

Et pourtant Marin Fouqué a une écriture immédiate, efficace. Elle est âpre, directe, un enchaînement de droites dans un sac de viande, dans une tête de cuir.

« La sidération, une mesure d’hésitation, de la salive qu’on ravale, un balbutiement d’excuses qui se meurt dans la glotte. Et puis Fuck ! Course-poursuite. Souffle court. Haut-le-cœur. Goût du sang. Ligne blanche. Stroboscope. Ville lumière. Bateau ivre. Paume sur rampe. Marche à marche. Mozart Remix. Marche Turque. Kick à kick. Râle rauque. Hardtek. Étages foudre. Palpite max. Coronaire. »

Il ne la tient pas de la dureté de l’univers policier et des bas-fonds des salles de garde à vue ; des fourgons qui embarquent et des clefs de bras. Elle est plutôt viscérale, provenue du serrement de dents de celleux-là qui sont les grains de sables broyés par les rouages, qui jamais ne parviendront à enrayer la machine. « À chaque mot sa conséquence. Une fois certains posés, il n’y a plus de retour en arrière possible : il faut prendre l’arme. Brille synapse. Brise soupape. Rage réflexe. »

Ce style coupé se retrouve pour chaque flux de pensée des personnages. C’est la réalité des entrepôts : « Bégaiement. Éructation. Raclement de gorge immonde d’où jamais ne viendra le crachat. C’est pourtant simple. Elles s’entrechoquent entre elles. Bruit monstre. Houle ressac. Abysse d’acier et polymères. C’est pourtant simple. Il faut remplir les caisses, refermer les deux battants à encoches puis les placer sur la langue de fer qui traverse l’entrepôt, le convoyeur. »

C’est la violence des heurts entre la police et les manifestants : « Analyser les gars d’en face, les sentir tout autant déterminés, enragés, et constater leur équipement lourd. Casque. Visière. Bouclier. Tonfa. Coudières. Jambières. Bottes hautes. Lacrymo. LBD. Robocop. Chevaliers. […] L’équipement du CRS, c’est l’armature de l’État. Leur cuirasse, c’est l’échafaudage de métal pour faire tenir l’édifice. Nous, on est la boule de démolition ».

Ce sont les tics et les tocs du gosse harcelé : « Je fixe successivement l’ampoule et le lavabo. Ping-pong pulles. Plafond-robinet. Plafond-robinet. Plafond-robinet. Je tente de piéger le système : robinet-plafond. Je compte jusqu’à huit. Par sécurité, j’ajoute cinq. […] Cette porte, est-ce que je l’ai bien fermée ? […] Le loquet ne n’est pas enclenché. La porte est restée ouverte. La faille est béante. C’est sûr. Relation cause-effet. Acte-conséquence. Fumée-feu ».

La narration fait les liens, les ponts, où l’on s’aperçoit que dans toute cette violence intime les personnages ont plus en commun que ce qu’ils ne partagent. Ils pourraient se parler, comme le vieux manifestant écologiste a un instant le désir d’aller voir K-Vembre. Mais elle disparaît trop vite.

Non, au final, tout ce qui pourrait se dire et s’apprendre, s’enseigner et être ainsi soulagé, demeure dans le secret de la narration seule, que nous partageons le temps du livre. Le discours dans la tête du gosse, envahi de théories complotistes, d’une vision des femmes d’autant plus aberrante qu’il n’est qu’un enfant inexpérimenté, d’espoirs de puissance et de puissance par les armes, d’horizons réactionnaires et survivalistes ; nous l’entendons mais sommes bien les seul.e.s. Idem pour K-Vembre, dont nous comprenons dans le collage de voix qu’elle a un lien avec l’un des personnages que connait Angel. De même Angel : le policier derrière le bureau du commissariat connait un secret sur son père, un secret qui le concerne mais dont il n’aura jamais idée – un secret de flics passé comme un fardeau d’une épaule à l’autre.

Pour finir, rien d’autre ne passe d’un personnage à l’autre, que la narration qui dessine des perspectives de rencontres autant que le cadre même de leur avortement : les murs, les séparations, les antagonismes. Rien d’autre que la narration dont le style est à la fois l’entrée vers les personnages, et la distance qui nous fait nous relier à eux sur un même plan, en dehors de toute histoire ; qui atténue également la polyphonie du roman, c’est-à-dire une polyphonie des corps, des langues, des sensations.

Un événement – une sortie pour visite médicale, de la jeune femme et de l’un des manifestants – démontre toute l’inactualité de ce qui s’échange entre les cellules, tout ce qui manque la réalité et ce qui manque de réaliser un échange véritable. Deux récits en sont faits, l’un après l’autre ; celui, rétrospectif, du jeune homme : dans la légende qu’il constitue pour ses camarades, il est ce héros en guerre contre l’autorité, flamboyant par ses bravades aux policiers, sa force de résistance, et dont la virilité prend d’autant plus corps qu’il implique la jeune femme dans son histoire en faisant état d’une connexion particulière, d’homme à femme, sensuelle, animale et romantique, dans les maigres espaces du périple menotté.

Le second récit est de fait celui de K-Vembre, dans lequel l’homme apparaît au-delà de toute fanfaronnade : apeuré, ridicule, déphasé. Pas de lien possible avec la jeune femme qui le tient à distance. L’ultime tentative d’approche se solde par une manchette ; l’échec n’est pas dû au refus de la femme, il préexistait au coup dans le ventre, il était déjà dans l’approche de K-Vembre par le manifestant. Ce n’était pas elle qu’il venait ainsi chercher, mais une représentation de lui-même, en héros masculin, à la réalisation de laquelle il l’asservissait sans même en avoir conscience.

Le crime et ses médicaments

Le livre revêt quelques apparences de roman policier ; la présence des forces de l’ordre, le cadre du commissariat, évidemment ; et plus encore, le dévoilement progressif des personnages comme autant d’intrigues. Mais les armes et les crimes ne sont pas aussi lisibles que prévu ; les histoires de chacun.e sont rongées par les incertitudes, opacifiées par les souvenirs et les indécisions, par la force des choses. Les mobiles de chacun.e ne sont pas si nets qu’ils et elle l’espèreraient.

Telles des cicatrices de kystes sur le visage d’un adolescent, tous.tes héritent d’erreurs passées et de choix qui ne leur ont jamais appartenu – peut-être encore n’en ont-ils même pas conscience, comme Angel vis-à-vis de son père – d’associations dont il est impossible de se défaire. Lorsque ta peau est noire, lorsque tu as une vulve, des seins, ou simplement un jogging, des Nike requin. Lorsque tu grandis dans une cité de banlieue, ou que tes camarades de classes t’appellent « le Chelou », ou se moquent de la cicatrice sur la figure. Lorsque tu ne peux pas sortir dans la rue sans craindre d’être la proie des mains, des yeux, des violeurs. Lorsque ton père, dès ta naissance, t’assigne de façon manichéenne la généalogie prétendument pourrie du côté de ta mère, et de la mère de ta mère, cette « autre folle ». Lorsque dans ta vie, et celles des gens qui vivent autour de toi, la case garde à vue est un passage obligé, lorsque ce n’est pas la case prison, et ce quoi que tu fasses pour l’éviter.

Il y a là une culpabilité des corps arbitraire et forcée, dont le résultat – un parmi tant d’autres – est cette réunion sans union dans les locaux du commissariat. Alors, si c’est une affaire policière, s’il y a procédure judiciaire, s’il y a garde à vue pour tous les personnages, où est donc le crime de chacun.e ?

Les gardes à vue ont toutes une bonne raison d’être sur le papier : l’un a arraché un poteau, l’autre manqué une attaque sur son patron vicelard, le troisième menacé d’attaquer son collège et le monde avec une arme qu’il ne savait pas factice. Tous les autres motifs sont aussi creux, dérisoires. Ce sont à peine des étincelles dans un incendie de violence permanente, générale et systémique ; seulement des étincelles qui, de là où elles naissent, entrainent chacun.e dans le rouage implacable de la procédure policière.

K-Vembre, la seule femme du roman, passe ses journées dans un entrepôt, au service comme les autres de la machine. Caisses, codes-étiquettes à scanner, les ordres à la volée sur le terminal des manutentionnaires. Elle est, de tous les personnages, la plus consciente de tout le système et peut-être pour cette raison, la plus exposée : celle qui encaisse – littéralement, au fond de l’entrepôt – tous les coups, les blessures et les dommages collatéraux du rouleau compresseur de la domination.

Elle y oppose une résistance confuse ; c’est un discours violent, moins d’attaque que de légitime défense, qui se déroule en permanence dans sa tête et qui envahit la solitude de son quotidien précaire ; c’est une série de décisions sans issue de vie de tous les jours – qu’est-ce qu’il faut accepter, pour combien de temps, quelle humiliation, quel rôle et place l’on prête à la femme que vous êtes, comment la refuser, peut-on survivre si on la refuse ? – qui tournent dans son crâne comme une vrille agressive.

Le crime ? Il est permanent, général et systémique : il est la structure patriarcale que Marin Fouqué s’affaire à décrire, et c’est une description fragmentaire puisque chaque personnage n’est qu’un prisme possible sur un monstre bien plus vieux, bien plus installé et bien moins mortel qu’ils et elle ne le sont. Il fait lien entre les fragments parce qu’il fragmente, érige des murs et des frontières d’antagonismes entre les personnages. Il n’y a pas vraiment d’histoire propre aux personnages, puisqu’il n’y a que la structure patriarcale qui finit toujours par tout emporter.

Pour le gosse, « à qui profitent les crimes ? Pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr. Mais rares sont ceux qui acceptent de voir jusqu’où sont prêts à aller les lobbys, et surtout à quel point ils sont tous de mèche pour l’avènement d’un Nouvel Ordre Mondial […] Des vidéos volées à la Nasa. Des comptes-rendus de loges franc-maçonniques. Des discussions en off de ministres. […] Les bobos à la solde du lobby LGBTQIA+. Leur but ? La pédérastisation de notre société. Pour ça, ils sont financés par l’Islam. » Le gosse, dans sa fraîche nouveauté, est le réceptacle privilégié de toutes les rancœurs et névroses qui traversent la société. Ses seules armes sont les outils du siècle, qui ont bien plus emprise sur lui qu’il n’a prise sur elles : les réseaux sociaux, les espaces où tout peut se dire et se fomenter, les armes à feu qui peuvent s’y trouver. Les unes comme les autres sont du matériel de guerre qu’il espère revêtir comme une armure quand il n’est qu’une simple munition, ainsi que ces adolescents qui finissent par s’adresser la dernière balle lorsqu’ils retournent une dernière fois à l’école pour l’ultime jeu de massacre.

Angel également a été gosse ; parce qu’il a grandi dans le 93, toujours près des trafics et des descentes de police, cet univers le maintient dans cette condition d’enfant qui le ramène à ses souvenirs tout au long de la garde à vue. L’histoire de son enfance peut se retracer simplement par les traces laissées sur son corps : son sourire étrange, évoqué à plusieurs reprises dans la discrétion de la narration, qui n’explicite jamais clairement son origine et préfère les détours. Ou encore le fameux accident qu’il a eu dans la voiture de son père, sa démarche atteinte, les moqueries ; puis dans une atteinte plus moléculaire, la dépression et le médicament donné par son psychiatre, dont il est forcément privé en garde à vue, préférant se taire que revendiquer sa maladie.

Quant aux médicaments et aux remèdes, il y en a d’autres, aussi dérisoires que le reste, mais bien plus – si fragiles qu’instinctivement, on les garde pour soi, on les refuse au monde extérieur en les taisant. Ce n’est pas de la jalousie, simplement qu’ils ne fonctionnent que pour soi et qu’exposés aux autres, ils seraient détruits par les humiliations et le reste des violences.

K-Vembre a son médaillon, « + QU’HIER – QUE DEMAIN » pour lui faire garder le cap et l’espoir. Le désir d’écriture l’anime aussi, mais pris mal gré plus que bon gré dans les caprices de ses potentielles éditrices. Son premier roman – impubliable, puisqu’on lui fait comprendre qu’étant femme, elle ne peut parler de n’importe quelle place – ressemble au premier roman de Marin Fouqué, c’est « l’histoire d’un jeune homme qui reste assis sous un banc d’abribus parisien ». Ce n’est pas le 77, mais l’abribus est là.

Angel, lui, a les chansons de rap qu’il connaît par cœur, pour se les réciter au fond de la cellule. Et puis l’omniprésence douce et salvatrice de Zakia, qui est tout pour lui, son havre de paix avec ses plantes et ses peintures ; son amour pour elle et ses remords à ressasser maintenant que le havre de paix est perdu et Zakia loin.

Le policier a ses poèmes, ses « variations nocturnes », dans lesquelles il dépose ses armes de la même façon qu’il a demandé à laisser son arme à feu au commissariat : « Porter une arme, c’est avoir en permanence un billet d’avion en première classe pour l’autre monde. C’est une option qui rend caduques toutes les autres. Tu ne préfères pas. ». Ils sont souterrains aussi, ces poèmes, « suffit que ça tombe entre de mauvaises mains, les collègues se marreraient bien, la Kommandantur n’apprécierait pas ». Comme l’arme, c’est une caresse de suicide, il vaut mieux tout déposer à un endroit contenu, sans risque de débordement.

Et, comme ultime médicament, un amour diffus ; de certain.e.s pour d’autres, souvent à sens unique ou sans réponse, empêché par la vie. Mais cela compte. Et quelque fois, ça prend corps, en quelques pages brèves, un chapitre en italique parmi d’autres, des corps. « Étreinte. Une petite main fine ébouriffe les cheveux tandis qu’une autre effleure la joue » – un jeu d’enfant dans une récré. « D’un moment à l’autre. Milliers de canaux pour unique information crépitant sous la peau, des tempes au cuisses, du sternum au périnée, des poignets aux chevilles. Danse. Gambille. Là. Maintenant. » – à la rencontre du corps.

La question est posée directement : « Est-ce assez ? Assez pour se perdre ? Assez pour se retrouver ? Assez pour connaître l’éternité ? Puisque plus et moins ne signifiaient rien, oui, c’était assez ».

Marin Fouqué, G.A.V., Actes sud, 2021, 448 pages.


Rose Vidal

Critique, Artiste

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