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Le réel et son double – sur Et pourtant ils existent de Thierry Froger

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Dans Et pourtant ils existent, son troisième roman, Thierry Froger imagine comment l’assassin de Jaurès, Raoul Villain, s’est retrouvé sur la route du personnage de fiction Florentin Bordes, un anarchiste engagé dans la guerre civile espagnole. À partir de là, ce roman choral dessine une fresque tourbillonnante où la légende le dispute aux faits vrais.

«Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent ». C’est ainsi que s’ouvre la chanson de Léo Ferré, Les Anarchistes. Et c’est de ce premier vers que Thierry Froger a tiré le titre de son troisième roman. La chanson est citée quelque part dans le texte, alors que des personnages sont en train de l’écouter. S’il affectionne cette manière de placer des indices comme on le fait dans un jeu de piste, Thierry Froger aime plus encore créer du frottement entre la fiction et la réalité, ou entre l’imagination et le mensonge (deux notions différentes, sinon opposées). C’est son moteur romanesque, qui a toujours partie liée avec le passé.

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Déjà dans Sauve qui peut (la révolution) (Actes Sud, 2016), son audacieux et jubilatoire premier roman, il mettait en scène Jean-Luc Godard en prise avec un projet autour de 1789, avec Danton pour héros, que le cinéaste imaginait non pas décapité en 1793, mais traversant la Révolution puis le Premier Empire, et enfin vieillissant (tout comme Robespierre). Dans le roman suivant, Les nuits d’Ava (Actes Sud, 2018), son narrateur menait une enquête qui l’entraînait d’Ava Gardner à… Gustave Courbet.

Nous sommes loin des pesants biopics et des biographies officielles. Thierry Froger procède avec ingéniosité et humour. Il s’insinue dans les zones d’ombre, éclaire des chemins méconnus, recoupe des parallèles. Il peut tordre les faits mais ne se targue pas de délivrer une quelconque vérité à leur propos. Au contraire, s’il réinvente l’histoire, petite ou grande, c’est davantage pour poser des questions que pour donner des réponses. Il tisse enfin des récurrences : on retrouve dans ses trois romans des personnages communs.

Revenons aux anarchistes. Ils sont au cœur de Et pourtant ils existent, du moins ceux qui ont participé à la guerre d’Espagne. On fait d’emblée la connaissance de Florentin Bordes, ouvrier mécanicien ayant commencé à fréquenter dans les années 1920 les milieux anarcho-syndicalistes à Toulouse, puis milité intensément à Par


Christophe Kantcheff

Journaliste, Critique

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