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La grammaire enfin rendue à la vie – sur La Grande Grammaire du français

Linguiste angliciste

La Grande Grammaire du français vient de paraître : cinquante-neuf des meilleurs spécialistes de linguistique française ont œuvré de concert à sa rédaction, avec l’appui d’une trentaine d’universités et de laboratoires de recherche à travers le monde. Cette proposition inédite est une porte ouverte sur la diversité des usages ordinaires du français, dans l’ensemble du monde francophone, et qu’ils soient écrits ou oraux.

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Dans la cour pavée de la Sorbonne, une fin d’après-midi pluvieuse de novembre 2021. Après une conférence sur la grammaire française à laquelle ils ont tous deux assisté, un bon parlant (la cinquantaine un peu tendue) vient se confier à une linguiste (la quarantaine, mal coiffée) :

— Ce matin, à la machine à café, j’ai entendu un collègue dire à propos de sa femme (qui n’est jamais contente), « alors, je lui ai demandé qu’est-ce qu’elle voulait de plus ». Vous vous rendez compte, qu’est-ce qu’elle voulait de plus ? J’ai été obligé de lui expliquer que ça se disait pas, et que peut-être que sa femme, en fait, pour commencer, elle aurait aimé avoir un mari qui sache parler français…
— Comment ça, ça ne se dit pas ?
(perplexe) Bon, c’est moche, c’est pas correct. C’est pas comme ça qu’on a appris à parler à l’école.
— Non, mais c’est comme ça que votre collègue parle. Donc, ça se dit.
(très perplexe) Alors comme ça on peut dire tout et n’importe quoi et tout le monde s’en fout ?
— Je… non, on ne s’en fout pas, il y a bien une construction plus standard pour introduire une question dans une subordonnée, mais à l’oral surtout, la forme utilisée par votre collègue a toujours existé, d’ailleurs La Grande Grammaire du français, Tome 2, chapitre XII, paragraphe 3.5.3, p. 1436, l’explique bien.
(un temps, désespéré) Vous vous dites prof à la Sorbonne et vous ne défendez pas la langue française ?
(vexée) Elle n’a pas besoin de se défendre, c’est pas une sirène sur son rocher entourée d’affreux monstres marins, elle va bien et n’a jamais été autant parlée, même si c’est pas toujours comme vous l’aimeriez, merci pour elle.
(en colère) Elle « va bien » ??? Vous voulez rire ?? Un mot sur deux est en angliche de startupping, l’autre est « en mode »  avec « du coup », les jeunes ne savent plus faire de phrase, à la place ils collent des images! Ah elle est belle la France, elle est belle la Sorbonne !!
(pédante) Tiens, vous voyez, ces dernières constructions son


[1] Ceci n’est pas une erreur d’accord, mais une variation possible (accord dit de « proximité » entre l’adjectif et le genre du nom le plus proche auquel il se rapporte, ici « insultes », j’en profite à ce propos (des insultes) pour remercier Alain Borer, dans son Tract Gallimard, « Speak white! », Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?, 2021).

[2] Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi, Mille ans de langue française, histoire d’une passion. I. Des origines au français moderne. (Perrin, 2013) Chapitre 10.

Julie Neveux

Linguiste angliciste, Maîtresse de Conférences en linguistique à l'Université de Paris-Sorbonne

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Notes

[1] Ceci n’est pas une erreur d’accord, mais une variation possible (accord dit de « proximité » entre l’adjectif et le genre du nom le plus proche auquel il se rapporte, ici « insultes », j’en profite à ce propos (des insultes) pour remercier Alain Borer, dans son Tract Gallimard, « Speak white! », Pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?, 2021).

[2] Alain Rey, Frédéric Duval, Gilles Siouffi, Mille ans de langue française, histoire d’une passion. I. Des origines au français moderne. (Perrin, 2013) Chapitre 10.