Littérature

Rester debout – sur Ceux qui trop supportent d’Arno Bertina

Essayiste

Sur le mode du récit documentaire, Arno Bertina chronique la mobilisation des salariés d’une usine automobile en voie d’être licenciés – et par là, quelque chose de la France des années 2017, de cette France qui supporte, sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Compagnon de lutte plutôt qu’observateur distant, il inscrit son œuvre dans le sillage de ces « livres de voix » contemporains, s’attachant à entendre et faire entendre dignement ces ouvriers en résistance.

Il ne faut pas se méprendre sur la belle photographie de Thierry Laporte en couverture montrant les ouvriers de GM&S allongés dans leur usine : le cadrage même le laisse deviner, il s’agit pour ces hommes et ces femmes de rester debout. « Se tenir plus droit », telle est la basse continue du récit documentaire d’Arno Bertina, compagnon de lutte au long cours des ex-GM&S, recueillant avec justesse leur voix, consignant non sans emportement leur colère, et restituant avec admiration leur intelligence collective et leur sens démocratique.

Rester debout ou tenir droit : sans doute est-ce là aussi le sillon que dessinent les bien-nommées éditions Verticales, de plus en plus attachées à l’urgence politique des gestes documentaires.

publicité

C’est la chronique de cette résistance collective que brosse ici le romancier dans ce récit documentaire, au plus intime de cette énergie commune. Pas à pas, quatre ans durant, l’écrivain a accompagné, suivi même, la colère et l’énergie des ouvrières et ouvriers, pour contrer les logiques néolibérales à l’œuvre : rachats permanents pour vider les caisses de l’entreprise, aides de l’état détournées, patrons véreux, hommes politiques incompétents, cyniques ou simplement malhonnêtes, faisant peu de cas des corps aux prises avec la faillite de leur métier et des esprits confrontés à la faille de leur monde.

Chronique au long cours, faite de coudoiements, de familiarité acquise et d’admiration : cette épaisseur de durée et cette immersion d’un écrivain brossent aussi la chronique de la France sous Emmanuel Macron, celle des Gilets jaunes et de la violence policière. Même si cette celle-ci s’écrit avec des lignes courbes qui tordent la chronologie, elle suit les gestes de résistance de ces ouvrières et ouvriers de La Souterraine dans la Creuse, qui refusent de céder ou de baisser pavillon quand tout conspire pourtant contre eux.

Un homme-oreille : « je me parle à voix basse en réécoutant l’enregistrement de notre échange »

Arno Bertina renv


[1] Maud Lecacheur, Postures d’écrivains publics : recueillir la parole d’autrui de Georges Perec à Olivia Rosenthal, thèse en littérature française, en préparation à l’ENS de Lyon / Centre d’études et de recherches comparées sur la création (CERCC), sous la direction de Laurent Demanze

[2] Aurélie Adler, « Portrait de l’écrivain en homme-oreille », Siècle 21, n°32, 2018, p. 107-111.

Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble

Rayonnages

LivresLittérature

Notes

[1] Maud Lecacheur, Postures d’écrivains publics : recueillir la parole d’autrui de Georges Perec à Olivia Rosenthal, thèse en littérature française, en préparation à l’ENS de Lyon / Centre d’études et de recherches comparées sur la création (CERCC), sous la direction de Laurent Demanze

[2] Aurélie Adler, « Portrait de l’écrivain en homme-oreille », Siècle 21, n°32, 2018, p. 107-111.