Littérature

Une mémoire en mots – sur Une vie cachée de Thierry Hesse

Écrivain

Dans une démarche qui, par certains côtés, peut rappeler l’œuvre de W. G. Sebald, Thierry Hesse livre avec Une vie cachée un très beau récit personnel, sous la forme d’une enquête rêveuse autour de la figure de son grand-père lorrain, Franz/François, à partir d’une photo retrouvée de 1918… C’est aussi une méditation sur les identités de frontière, et plus généralement sur les paysages d’une vie, confondus parfois avec les pages d’un livre.

Nous aimons les fantômes, et si ce « nous » n’est pas forcément très clair, il désigne à coup sûr parmi les humains une sous-catégorie, parfois bizarre et souvent un peu maladroite dans le quotidien de l’existence, qui regroupe entre autres des écrivains, du moins ceux qui se rêvent tels et cherchent les clés de leur œuvre possible dans le passé, familial, historique, ou simplement fantasmé.

Cette idée du fantôme est un peu « cliché », dira-t-on : une figure commode, qui renvoie à une certaine rhétorique des romans de famille : personnage d’aïeul trouble, héros de guerre ambigu, grand-oncle surgi d’un passé profond et qui pourrait, qui sait, donner un sens neuf aux vieux mots de la tribu, une clé pour les malaises du présent. Il suffit en tout cas de feuilleter les livres de ce qu’il est convenu d’appeler une « rentrée littéraire », d’automne ou d’hiver, pour se rendre compte à quel point la prose contemporaine est parcourue des fantômes, perdus ou retrouvés, d’un vingtième siècle qui semble avoir du mal à s’achever.

publicité

Il n’y a là rien à regretter, bien sûr, et d’excellents livres sont construits sur cette quête de figures dissimulées dans le tapis de la mémoire, qu’on voudrait tirer des poussières de l’oubli (un « Teppich der Erinnerung », selon le titre d’un tableau, merveilleux, de Paul Klee en 1923).

Une vie cachée de Thierry Hesse est l’un de ces livres, dont l’élégance un peu stricte et l’espèce de rigueur rêveuse dans la prose, comme dans le propos, méritent qu’on y soit particulièrement attentif. C’est d’abord un très beau récit personnel, qui rattache à l’histoire d’un pays et d’une région de frontières, la Lorraine, le destin singulier d’un homme dont la vérité ne saurait se réduire à quelque secret à déchiffrer.

Cet homme, c’est Franz, le grand-père du narrateur, dont on découvre qu’il s’appela aussi François : passage des langues et trouble des identités, symptomatique d’un lieu que les guerres firent hésiter entre la France et l’Allemagne, à laq


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

Rayonnages

LivresLittérature

Mots-clés

Mémoire