La classe et l’inclassable – Michel Deguy (1930-2022)
Michel Deguy est mort le 16 février. Il aurait eu 92 ans le 23 mai. À la tristesse, forcément, due à la perte et à la diminution de notre horizon, se mêle le sentiment de la joie de l’avoir connu et beaucoup lu. On dit parfois qu’il occupe une place périphérique dans la poésie française. C’est peut-être une façon de dire qu’il n’a cessé de faire le tour de la question, à son allure, éminente, toute de rapidité et d’allégresse. À mes yeux, en tout cas, sa place est centrale et essentielle. Personne n’aura comme lui défendu et illustré, représenté, la poésie dans la deuxième moitié du XXe siècle et un peu au-delà. Il fut mon maître, il l’est resté.
Deguy, d’abord, c’est la classe, la grande classe, peu importe ici la classe sociale dans laquelle il a grandi, l’élégance, pas seulement la prestance panachée de cette désinvolture à la Eddy Mitchell, l’élégance que lui-même prêtait à son petit-fils Raphaël, dans ce bref chef d’œuvre qu’est Desolatio, en la rapportant au latin legere, lire, élire, recueillir, choisir. La classe, c’est aussi la salle de classe dans laquelle j’ai eu la chance de le rencontrer, la salle de classe au lycée, pas la salle de cours à l’université. C’était avant Vincennes où il enseigna avec brio, c’était à l’infini milieu des années soixante. Dans ce lycée, il y avait deux classes de Philosophie et deux professeurs. L’autre était Maurice Clavel. Le hasard m’a royalement servi. Ma vie en a, pour le moins, été infléchie.

Ce fut une année d’éblouissement, inséparable d’autres enchantements que nous réservaient les livres, le cinéma, les parties de ballon à la récréation et la vie tout court, une année bercée par sa voix, son phrasé, une voix qui pesait ses mots et qui accompagnait une pensée en mouvement. Ce fut une année d’ouverture de l’esprit où brillent encore ses digressions renversantes sur Dante et sur Hölderlin. Dante, selon lui, parlerait aujourd’hui du métro, oui, le métro qui passait de l’autre côté des hautes fenêtres de notre