Cinéma

Regarde un peu la France – à propos de Là-haut perchés de Raphaël Mathié

Journaliste

Quelque part entre Lumière et Méliès, Raphaël Mathié envisage le cinéma comme une expérience d’immersion et de production en commun, là est une forme d’engagement politique. C’est en tout cas ce que son dernier documentaire, Là-haut perchés, en salle ce mercredi, donne à voir : les faits et gestes ordinaires des habitants d’un village enclavé, la vie qui s’écoule, et qui retrouve un élan nouveau une fois la caméra posée là, humblement.

Depuis le clivage originel Méliès-Lumière, on sait qu’il existe deux grandes typologies de cinéastes : ceux qui inventent un univers, tels des démiurges, des dieux tout puissants, « substituant à la réalité un monde qui s’accorde à leurs désirs » (Minnelli, Hitchcock, Kubrick, Lucas, Lynch…), et ceux qui accueillent le monde tel qu’il est, l’observent, le filment avec humilité et attention, ce qui n’empêche pas le style ni la singularité (Renoir, Rouch, Rossellini, Pialat, Depardon, Reichardt…). Bien sûr, mille combinatoires entre ces deux pôles opposés sont possibles, ce qu’ont prouvé des dizaines de cinéastes tout au long de l’histoire du cinéma jusqu’à ce jour.

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On pourrait dire ainsi de Raphaël Mathié qu’il y a chez lui beaucoup de Lumière et un peu de Méliès. Un jour, il a posé ses valises à Chasteuil, petit village perdu entre Verdon et Mercantour. Et comme Mathié est cinéaste, il y a ensuite planté sa caméra. Mais d’abord les valises, et ensuite, seulement ensuite, après un certain laps de temps, la caméra : cet ordre-là est fondamental, philosophiquement, esthétiquement, déontologiquement. Mathié n’a pas écrit un scénario destiné à être filmé après, non, il a vécu dans un lieu, s’est immergé dedans, l’a apprivoisé, a fait connaissance avec ses habitants, puis a décidé que cet écosystème méritait peut-être d’être filmé. Ce sont l’imprégnation dans un contexte géographique et sociologique particulier, le vécu nourri par l’épaisseur du temps qui ont déclenché le désir du film. Lequel film a été initié sans la moindre garantie de son but ou de son achèvement.

C’est ce qu’offre Là-haut perchés : le cinéma envisagé comme une expérience, une aventure in progress (fût-elle modeste), et non comme la mise en acte d’un certain nombre de procédures professionnelles (scénario de scénariste, acteurs au talent consommé, réalisateur efficace, respect du budget et du plan de travail, etc.), fussent-elles accomplies avec la compétence maximale, et qui caractérisent l


Serge Kaganski

Journaliste, Critique de cinéma

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