Littérature

Le dérangement des choses enfouies – sur Vider les lieux d’Olivier Rolin

Ecrivain et essayiste

Adieu le 10, rue de l’Odéon. Ressurgissent les êtres et les événements qu’a connus le lieu habité par l’écrivain pendant 37 années, avant de s’en trouver expulsé. Sans lamentation aucune, Olivier Rolin retrace la « vidange du lieu », avec pour point focal la bibliothèque : le déménagement invite à feuilleter les livres accumulés, certains presque oubliés, et ressuscite les souvenirs de leur lecture.

Comment écrire sereinement sur un livre lorsque la fureur du monde tape à la vitre ? J’avoue que, tandis que je lisais Vider les lieux d’Olivier Rolin le 23 février, j’avais régulièrement un œil sur le fil des chaînes d’actualité en continu. Et le 24, je n’ai pu écrire sur ce texte. J’étais choqué depuis 4 h du matin par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ainsi la littérature, à travers le temps où elle est lue, noue-t-elle des liens inattendus avec le réel ! Surtout lorsqu’elle use, de surcroît, dans ses titres, de verbes à l’infinitif – Vider les lieux (Rolin), mais aussi Anéantir (Houellebecq), ou encore Pas dormir (Darrieussecq)…

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Est-ce le fait de ces journées cauchemardesques et des nuits sans sommeil ? Mais ces titres d’œuvres littéraires, dans leur rusticité de langue réduite à l’infinitif, retentissent, à la manière d’oracles, dans le présent. Est-ce de la pensée magique ? Oui sans doute. Toutefois, à force d’être impersonnel – c’est la caractéristique de ce mode –, l’infinitif accueille non seulement la voix de l’auteur mais aussi les chimères du temps. Vider les lieux ! Cette injonction brutale qui renvoie, pour l’huissier, à l’obligation de faire évacuer ou, pour le locataire, à celle de ficher le camp, bouleverse ainsi la vie de l’écrivain, expulsé par un « requin de l’immobilier » contemporain, de son historique entresol du 10, rue de l’Odéon ; mais elle résonne aujourd’hui drôlement, à quelques milliers de kilomètres de là, pour des populations et un gouvernement, mis en demeure par un ancien maître des lieux, de vider les lieux pour qu’un nouveau propriétaire s’y installe. Même si, comme le dit Umberto Eco, « le titre est le premier commentaire de l’œuvre », je cesse là le parallèle que m’inspire cet infinitif.

Ce récit d’un déménagement contraint raconte beaucoup d’Olivier Rolin, locataire depuis trente-sept ans. Mais disons-le tout de suite : ce livre n’a rien d’une lamentation. C’est juste une vie que son locataire remue, regarde, et


Thierry Grillet

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