C’est où, le paradis ? – à propos de deux romans d’Abdulrazak Gurnah
Le Prix Nobel de littérature a le mérite de susciter édition, réédition et traduction pour des auteurs absents des étagères. Il répond ainsi à sa fonction de gardien de la littérature mondiale, non seulement en accueillant les écrivains qui méritent d’y figurer mais aussi en assurant leur diffusion à cette échelle. C’est ainsi que Denoël a opportunément publié à la fin de l’année deux romans d’Abdulrazak Gurnah, le dernier récipiendaire de la récompense suédoise. Ils constituent le seul et maigre corpus disponible pour le lecteur français sur une production de dix romans et d’une série de nouvelles et d’essais, largement reconnues dans le monde anglophone.
Et pourtant, ces deux ouvrages, Paradis et Près de la mer, suffisent à ouvrir à l’univers de l’auteur tanzanien ayant émigré en Grande-Bretagne où il a accompli une carrière universitaire consacrée notamment à la littérature africaine et post-coloniale, directeur par exemple d’un Companion to Salman Rushdie publié par Cambridge University Press.

Le jury du Nobel a lu dans son œuvre une description « empathique et sans compromis sur les effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents », ainsi qu’un éclairage sur une Afrique de l’Est méconnue.
Si le second point est évident, le premier appelle la nuance. Gurnah romancier de l’exil, certes, mais au sens où l’exil n’est pas immédiatement synonyme d’un déracinement cruel et aliénant puisqu’il ouvre à une condition humaine complexe fuyant toute essentialisation, porteuse à ce titre d’un éthos provocateur face aux équations ethniques et nationalistes réductrices.
En outre, la géographie de son œuvre bouscule des ordres de perception trop figés. Tanzanie : une Afrique asiatique, une Afrique orientale au sens où elle n’est pas uniquement prise dans un rapport avec l’Europe mais se définit autant, sinon plus, par ses rapports avec les mondes arabo-musulman et indien. Le post-colonialisme est encore une pensée coloniale s’