Cinéma

Souvenirs de la mine – sur Le grand mouvement de Kiro Russo

Critique

Dans son premier long métrage, Viejo calavera (2016), Kiro Russo suivait Julio César Ticona dans la mine où il travaillait. Le grand mouvement le retrouve à La Paz, sous les traits d’Elder, ouvrier venu manifester contre le manque d’emploi. Symphonie de la grande ville et comédie sociale, le voyage d’Elder devient aussi une troublante secousse intérieure et chamanique. Présenté à la Mostra de Venise, le film est sorti sur les écrans ce 30 mars.

Le grand mouvement, ce pourrait être ce zoom aussi immense qu’interminable qui ouvre le second long métrage de Kiro Russo, mouvement optique qui embrasse La Paz, du grand ensemble au petit détail. Ce rapprochement visuel se double de zooms sonores qui nous font entrer dans les pures sensations de la ville. Le cinéaste bolivien donne dans ce prologue quasi expérimental un portrait rythmique de sa ville, rendant un hommage très contemporain au genre de la Symphonie urbaine très en vogue dans le cinéma muet tardif, et dont le Berlin, symphonie d’une grande ville (1927) de Walther Ruttmann est la plus belle occurrence. Le grand mouvement entre dans la ville comme dans une matière mouvante, vivante, presque perçue de façon abstraite dans des miroirs déformants. En constante métamorphose, la cité est un palimpseste de chantiers où s’abattent des immeubles tandis que d’autres se construisent dans un grand fracas.

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C’est le chant de la ville, dont le réalisateur a prélevé partout des sons qu’il monte comme une partition bruitiste, comme ce gros plan sur la poulie du funiculaire qui débraie redonne du rythme au montage comme à la mélodie urbaine. Dans ce prologue fait de jeux avec les cadres, la ville semble avaler ses enfants, réduits à l’état de petites fourmis qui s’agitent. Le mouvement humain se met à intéresser Kiro Russo dès lors qu’il est social, et, après avoir balayé les façades ou les toits, sa caméra se pose sur le pavé pour porter le message d’une manifestation réelle contre le manque d’emplois. L’un des travailleurs braque son téléphone sur son collègue qu’il filme en l’interrogeant comme s’il était journaliste. Le film s’inscrit ainsi dans une navigation constante entre l’expérimentation formelle et l’ancrage dans le réalisme social. Le regard plein de curiosité sur la ville du prologue est possiblement celui de ces trois ouvriers, qui ont voyagé sept jours depuis leur petite ville d’Oruro pour réclamer que leur travail leur soit rendu.

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