Littérature

Sans Pierre – sur Depuis une fenêtre de Pierre Guyotat

Ecrivain et essayiste

Poète-prophète, Guyotat, né en 1940 en plein confit mondial, marqué par la guerre d’Algérie, et dont le premier opus, Tombeau pour cinq cent mille soldats, est une épopée guerrière, n’a cessé de faire de la guerre la scène première de l’humanité. Sa dernière fiction, Depuis une fenêtre. Joyeux animaux de la misère III, qui paraît deux ans après sa mort, en pleine guerre en Ukraine, ne fait pas exception.

Depuis une fenêtre est le tout dernier texte de Pierre Guyotat. Il en a interrompu la rédaction en décembre 2019. Il est mort en février 2020. Texte publié à titre posthume, donc sans Pierre pour le mettre au point. Pour l’achever, le parfaire, le relire. Sans Pierre pour l’accompagner et pour le lire – son œuvre lui était si organiquement liée qu’il n’était pas concevable qu’il n’en fît pas, pour chaque nouvel opus, lecture à voix haute[1]. Sans Pierre pour en parler. Non pour l’expliquer, mais pour en faire comprendre la beauté. Sans Pierre non plus pour le faire résonner dans l’époque. Qu’aurait-il fait d’ailleurs de cette matière inattendue – pandémie, Paris vide, guerre en Ukraine…

publicité

Aussi l’œuvre entière va-t-elle vivre désormais sans lui. À commencer par ce texte – qui annonce probablement la publication dans les prochaines années d’autres inédits. Comme le mythique Histoire de Samora Machel, mais aussi les carnets de bords, les lettres, les mails et texto, conservés depuis 2004 par la BNF. C’est donc le dernier texte, auquel l’auteur a mis la main, comme le confirme avec précision l’horodateur des fichiers numériques, le 5 décembre 2019. Pierre l’ignorait. Mais sur l’ordinateur, ce jour-là, il tapait ses derniers mots. Depuis une fenêtre, en interrompant une œuvre entamée depuis le tout début des années soixante, de fait l’a conclue. Désormais la perspective est inversée. L’œuvre sera regardée depuis la mort qui projette sur elle une lumière noire, révélatrice, là où, jusqu’alors, c’était la vie qui animait l’œuvre. L’œuvre s’est refermée. Comme ses yeux à lui, beaux et étrangement prophétiques, ce qu’annonçait la dernière phrase du texte : « … le vautour qu’il me voit en fermer mes yeux bleus… »

Ce texte, inachevé donc, est composé de quatre séquences de récit. Troisième volet de Joyeux animaux de la misère, après Par la main dans les Enfers, Depuis une fenêtre (ou encore Joyeux animaux de la misère III) est un texte, à bien des égards, actuel et pr


[1] C’est Abd al Malik qui le fera le 25 mai à l’Université Columbia.

Thierry Grillet

Ecrivain et essayiste

Notes

[1] C’est Abd al Malik qui le fera le 25 mai à l’Université Columbia.