Écrire pour ne pas trop agir – sur Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli
Il y a un malentendu autour du Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli. Ce livre dont le personnage principal est inspiré de Vladislav Surkov, éminence grise fracassante de Poutine, passe pour un livre d’actualité.
Bien sûr il y est question de pouvoir, de Kremlin, d’oligarques et de dictateur, d’ivresse de conquête et de stratégie de communication, d’élimination d’opposants, bien sûr on y lit l’un des plus amusants portraits de Bill Clinton et de son fou rire plus humiliant pour le moral russe que cinquante F35, des rappels sur ce que furent les années 90 en Russie et sur l’effondrement de la confiance d’un peuple habitué à tout sauf au pouvoir délétère de l’argent qui envahit alors la grisaille des existences tchekhoviennes avec la brutalité d’un tsunami dans une cerisaie.

Bien sûr ce roman est aussi une formidable tentative de réponse à la question : comment un aussi grand peuple, si amoureux de culture, de littérature, si sensible dans son rapport à l’art, en arrive à éprouver de la nostalgie pour Joseph Staline et à s’en remettre à un Poutine, et comment ce Poutine passe du statut de sombre fonctionnaire des services à despote inébranlable.
Bien sûr l’on avait oublié la scène d’anthologie du labrador de Poutine bavant aux pieds d’une Angela Merkel terrifiée, et tout est dit là de la manière dont l’adversaire est considéré par le pouvoir russe comme un jouet à manipuler.
Évidemment, l’auteur excelle à analyser les mécanismes du pouvoir à l’époque moderne, lui qui en a été l’un des analystes les plus précis dans ses différents essais, et l’un des acteurs à l’époque où il conseillait certains responsables politiques italiens. Mais si Giuliano da Empoli choisit pour la première fois la forme romanesque, c’est que son dessein est plus ample. C’est une interrogation sur le sens du pouvoir. Et sur sa propre fascination pour celui-ci. Comme Flaubert disait Madame Bovary c’est moi, da Empoli pourrait écrire : Baranov c’est moi, c’est nous. Qu’allons-nous cherche