Livres

« Nous utiliserons la potence comme table d’écriture » – sur Traces de vie à Auschwitz

Enseignant-chercheur en littérature

Traces de vie à Auschwitz, édition commentée du manuscrit clandestin écrit en janvier 1945 par Abraham Levite dans l’enceinte du camp d’Auschwitz, invite à réfléchir sur la mobilisation de ce texte dans le cadre d’un enseignement portant sur la Shoah, et sur la collecte des traces et des témoignages par les Juifs. Arracher un texte à la mort en cours fut en effet l’objectif de nombreuses victimes qui avaient perçu que les nazis voulaient les éliminer en gommant les preuves de leurs crimes.

Comment arracher un texte à la mort en cours ? Tel est le défi qui anima Abraham Levite en janvier 1945, au moment où il rédigea clandestinement, dans l’enceinte du camp d’Auschwitz, le manuscrit en yiddish publié aujourd’hui dans Traces de vie à Auschwitz. Ce texte devait servir d’introduction à une anthologie collective intitulée Recueil Auschwitz dont le but était de compiler des manuscrits écrits par des déportés juifs dans le camp. Si ce recueil ne vit jamais le jour, c’est parce que le camp fut libéré peu après par l’Armée rouge. Les textes auraient dû ensuite être enterrés dans des bouteilles scellées dans l’espoir qu’ils puissent être retrouvés après la guerre.

publicité

L’édition de cette introduction, sous la direction de Philippe Mesnard, propose au lecteur de la découvrir dans deux traductions différentes, celle de Rachel Ertel et celle de Batia Baum, en lui ajoutant un riche ensemble de textes qui la présentent et la commentent. Le volume est complété par un dossier pédagogique destiné à réfléchir sur la mobilisation de ce texte dans le cadre d’un enseignement portant sur la Shoah. Les réflexions proposées permettent alors de replacer le projet du Recueil Auschwitz dans son contexte immédiat d’écriture, à savoir les derniers jours du camp d’Auschwitz, mais aussi dans un contexte plus large qui est celui de la collecte des traces et des témoignages par les Juifs.

En effet, comme le rappellent dans leurs commentaires aussi bien Rachel Ertel que Philippe Mesnard, il est nécessaire de réinscrire ce texte dans la lignée d’un désir d’archiver qui a traversé l’histoire juive confrontée aux persécutions. L’un de ses jalons les plus essentiels est l’appel à collecter des documents lancé par trois écrivains de langue yiddish, Isaac Leib Peretz, Yankev Dinezon et Shalom Anski, dans le journal yiddish varsovien Haynt, le 31 décembre 1914, un appel fondateur à faire trace collectivement, dont aucune version en français n’existait jusqu’à présent et que le lecteur pe


[1] Dans Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, « Le livre de proche », 2019 [2005], et Au cœur de l’enfer. Témoignage d’un Sonderkommando d’Auschwitz. 1944, Éditions Tallandier, « Texto », 2019 [2001], traduit par Batia Baum et édité par Philippe Mesnard et Carlo Saletti.

Maxime Decout

Enseignant-chercheur en littérature, Maxime Decout est professeur à l’université de la Sorbonne et membre junior de l’IUF

Notes

[1] Dans Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, « Le livre de proche », 2019 [2005], et Au cœur de l’enfer. Témoignage d’un Sonderkommando d’Auschwitz. 1944, Éditions Tallandier, « Texto », 2019 [2001], traduit par Batia Baum et édité par Philippe Mesnard et Carlo Saletti.