Avec l’espace, va, tout s’en va – sur Lieux et Espèces d’espaces de Georges Perec
Georges Perec (1936-1982) a construit une œuvre incomparable, qui gravite autour de ce qu’il désignait comme les quatre pôles de son expérience de l’écriture : « le monde qui m’entoure, ma propre histoire, le langage, la fiction[1] », autant d’interrogations se chevauchant et « pos[ant] peut-être en fin de compte la même question, mais (…) selon des perspectives particulières[2] ». On a souvent estimé que cette question était celle du lien entre l’écriture et le temps[3], mais on se demandera si Perec n’aurait pas tout autant abordé le lien entre l’écriture et l’espace, plus exactement d’ailleurs la dimension spatiale de l’existence humaine, ce qui complexifie quelque peu la chose.

Il est permis de conforter cette idée à l’occasion de deux évènements éditoriaux publiés coup sur coup dans la collection de Maurice Olender, « La Librairie du XXIe siècle », aux Éditions du Seuil. D’abord, en janvier dernier, une nouvelle édition d’Espèces d’espaces, augmentée de documents inédits et d’une postface de Jean-Luc Joly, qui y fait justement l’hypothèse que « Nul d’avantage que Perec, sans doute, n’a autant exprimé ce choix de l’espace à l’encontre du temps, de la géographie à l’encontre de l’histoire (…) »[4]. Ensuite et surtout, fin avril, l’intégralité d’un projet monumental que Georges Perec ne mena pas à son terme, Lieux, rendant ainsi disponible dans sa globalité un texte qui constitue un matériau de première importance pour qui veut aborder un versant de l’œuvre de Perec tout à la fois connu et finalement pas si éclairé que cela[5].
La lecture combinée de ces ouvrages, dont la relation est forte, confirme qu’on peut considérer Georges Perec comme un écrivain-géographe de la première importance. Les deux procèdent bel et bien de la mise en œuvre pleine et entière de son projet littéraire, ils y occupent une place centrale. On y découvre notamment la radicalité du principe de « réalisme » de Perec, qui affirmait que « la fonction de l’écriture est d’être réalis