Rediffusion

Irréelles Swinging Sixties – sur Utopia Avenue de David Mitchell

Journaliste

Avec le virtuose Utopia Avenue, le romancier David Mitchell narre minutieusement les carrières, rêves et plaies d’un groupe de rock du Swinging London. On y croise beaucoup de stars en construction, de Janis Joplin à Jimi Hendrix, de David Bowie à Leonard Cohen. Spoiler : tout ceci est une invention, une illusion. Rediffusion du 7 juin 2022

C’est une de ces époques inouïes où l’histoire décide d’accélérer le mouvement, de gagner du temps sur le futur. Un de ces moments rares où la rue décide soudain de son destin, de ses mœurs, de ses vêtements, de ses idées : le vieux monde trembla. C’était en direct, dans tout l’Occident, la fin d’un moyen-âge, le début d’une renaissance. Dans les foyers, la télévision passe du noir & blanc à la couleur. Dans le brasier de Londres, c’est la société qui passe du noir & blanc à la couleur. Les livres d’histoire, et Utopia Avenue, le nouveau roman de David Mitchell, est un merveilleux livre d’Histoire et d’histoires, se souviendront d’une époque bénie de liberté, d’espoir, de possibles.

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Coincées entre les guerres interminables et les années Sida, entre le gris sinistre des rationnements et la revanche brutale du conservatisme des règnes Reagan et Thatcher, les Swinging Sixties peuvent aujourd’hui apparaître comme une apogée culturelle, intellectuelle ou même sociale. Plus dure sera la chute : à la hauteur des naïvetés et utopies d’alors. « You may say I’m a dreamer / But I’m not the only one » roucoulait John Lennon en 1971 sur la pierre tombale des illusions hippies, des fantasmes happy.

Et effectivement, comme tout mouvement populaire, les Swinging Sixties reposaient sur cette certitude que l’on n’était pas seul, qu’aucune femme, aucun homme n’était une île. Les festivals, la rue, les manifestations, le rejet du monde-à-papa, la vie alternative, l’écologie, les idéologies en surrégime unifiaient ceux que la société effarée décrivait comme des marginaux – par quelle perversion linguistique un mot aussi gratifiant est-il devenu une insulte ? Dix ans plus tard, le punk-rock sera à son tour une fédération de parias, de « marginaux ». Mais s’ils ajoutaient le rouge de l’explosion et de l’exaspération à leur palette, les punks retournaient à l’esthétique noir & blanche : celle de la désillusion et des combats vains.

Tout ceci laissera dans la nature beaucoup d’anc


JD Beauvallet

Journaliste, Critique