Littérature

Quand « on » parle – sur Un singe à ma fenêtre d’Olivia Rosenthal

Écrivain

Partie à la Villa Kujoyama de Kyoto avec un sujet en tête (les attentats au gaz sarin à Tokyo), Olivia Rosenthal apparaît déroutée par un Japon insaisissable et découvre, au fil des jours et des pages, une cicatrice qu’elle est partie chercher si loin à la surface des autres, que c’est au plus profond d’elle-même qu’elle en vient à la reconnaître.

De son début brillantissime à son final qui a la puissance des révélations, en passant par le séjour qu’il raconte dans un Japon insaisissable sinon impénétrable, Un singe à ma fenêtre opère une magistrale noria de pronoms personnels. Tous y passent, d’autant qu’à l’occasion la narratrice s’interpelle à la deuxième personne, embarquant de fait le lecteur dans son questionnement : « Sais-tu précisément ce que tu caches ? Ce que tu dois cacher ? Ce que tu ne dois montrer sous aucun prétexte ? Ne risques-tu pas, en le montrant, de découvrir que ton secret n’est pas aussi extraordinaire et terrible que tu le pensais ? Est-ce pour qu’il reste toujours aussi encombrant et douloureux que tu continues à le cacher ? », comme si cet encombrant secret, en somme, donnait à la narratrice, ou à chacun, un centre de gravité au risque de lui fermer tout accès à une véritable légèreté.

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Savamment mesuré, le flou qui sépare le défini de l’indéfini, le personnel de l’impersonnel, est posé dès les premières lignes, puisque c’est le moins déterminé de tous les pronoms qui ouvre la danse, et vigoureusement ; une vingtaine de pages durant, en réalité le temps de tout le premier chapitre, « on » reste le véhicule (et le personnage principal) de Un singe à ma fenêtre, d’emblée placé au centre d’une scène envahie par un brouillard de pensée persistant : « Parfois on se trompe, on croit chercher quelque chose qu’on peut nommer très explicitement, mais on cherche autre chose sans le savoir, avec une détermination et un aveuglement inexplicables. Par exemple on décide de partir au Japon pour un travail d’écriture […], on expose le projet devant un jury, on explique qu’on va écrire sur les répercussions vingt-cinq ans plus tard d’actes terroristes qui ont eu lieu dans le métro de Tokyo en 1995. »

Il y aurait donc posé là un sujet ; il s’agirait, et c’est toujours « on » qui le précise, tambour battant, d’explorer la mémoire des événements traumatiques, de préférence au Japon non pas par


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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