Hommage

Godard, une fois pour toutes

Critique

Jean-Luc Godard a donc décidé d’en terminer ce mardi 13 septembre, « épuisé ». A la fois caméra, table de montage, magnétoscope, projecteur diffusant un rayon excentrique, invention maboule à la Jules Verne pour fabriquer chez soi de la mémoire ou pour la brouiller, enceinte sourde, machine à voir et à faire voir, œil pour enregistrer et pour analyser : avec lui, est partie ce matin une idée totale du cinéma dont il était l’incarnation physique.

Ainsi l’impensable est arrivé. La mort du plus grand cinéaste moderne, tant redoutée, c’était donc pour ce matin. La date, il nous faut la relire, deux fois trois fois, pour en être certain, pince moi je rêve, mais non elle ne fait toujours pas sens : Godard ne peut pas mourir un mardi 13 septembre. Tout ça n’est pas possible.

Simplement parce que cette date ne lui appartient pas. Elle est celle d’une stèle qui n’attendait que ça, la fin de JLG, pour être enfin scellée. Sa mort est plus grande que l’être qu’elle emporte, mais aussi plus grande que son œuvre, et nous la voyions arriver depuis trop longtemps.

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C’est la mort du signifiant Godard qui nous cloue depuis ce matin, 10 heures, et ce que son nom de Godard avait fini par signifier, nous le savons que trop bien. Avec lui, est partie ce matin une idée totale du cinéma dont il était l’incarnation physique.

A la fois caméra, table de montage, magnétoscope machine, projecteur diffusant un rayon excentrique, invention maboule à la Jules Verne pour fabriquer chez soi de la mémoire ou pour la brouiller. Enceinte sourde, machine à voir et à faire voir. Oeil pour enregistrer et pour analyser. JLG n’avait plus grand chose d’humain, il était devenu comme ces personnages moitié chair moitié lynox des films les plus malades de Cronenberg, ou comme l’être imaginé en 1747 par Julien Offray de La Mettrie : l’Homme Machine.

Soit l’enfant effectif, le produit d’un art (et encore, pas tant que ça) né la même année que la psychanalyse et les rayons x. Un accident dans l’histoire dont il s’était emparé comme on s’empare d’un tube à essai. Godard, peut-être même avant de filmer la moindre image, s’est donné pour mission de porter le destin du Cinéma tout entier à bout de bras, et de préférence seul. D’une solitude voulue, pas du tout sympathique, totalement misanthrope, éliminant d’une phrase assassine chaque cinéaste vivant ou proche (ceux de la Nouvelle Vague en ont tous fait les frais), qui aurait pu se réclamer de lui,


Philippe Azoury

Critique, enseignant à l'ECAL (Lausanne)

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