Art contemporain

Une chambre à soi – sur l’exposition « La fugitive » au Crédac

Critique

« Mademoiselle Albertine est partie ! » La curatrice Ana Mendoza Aldana rassemble une quinzaine d’artistes tutélaires, émergent·e·s ou confirmé·e·s autour de l’héroïne de Proust pour lui rendre une lesbianité débarrassée du male gaze, avec l’aide de Monique Wittig et Jean Genet.

On prend Opaque (2014) de Renate Lorenz et Pauline Boudry pour (non) boussole ou (non) horizon. C’est un film de dix minutes qui documente peut-être une performance. Il est projeté au Crédakino, à la fin du parcours de l’exposition. Il peut aider, par delà l’unité conceptuelle, à naviguer sensiblement.

Une voix venue de derrière un rideau y annonce qu’elle arrive de l’underground, qu’iels sont plusieurs, fugitif·ve·s, missionné·e·s par un groupe de réalisateur·ice·s pour nous parler, faire ensemble un film dans une safe house : « on peut dire que l’écran entre nous est issu de la guerre. Qu’il résulte du racisme de la société. C’est un acte, et un acte important de dépasser cette barrière. On va essayer de s’exprimer à travers elle, de vous atteindre » (la citation est extraite du documentaire Underground de Emile De Antonio et Haskell Wexler, sorti en 1976).

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Le rideau est tiré, deux personnages apparaissent dont un est fondu par ses vêtements dans le décor, rose violent. Des fumigènes tout aussi roses sont allumés, qui envahissent peu à peu l’écran. Les vapeurs s’extravasent en tourbillons lents, plus ou moins mouvants et – donc – opaques. On pense aux scissures de plusieurs cerveaux, des têtes poussent ou des génies de la lampe en arborescence. C’est presque une matière : la fumée est si dense qu’on dirait un trucage 3D – en réalité du 16 mm moulu en digital.

À propos d’Opaque, Lorenz et Boudry parlent d’un « camouflage contre la transparence d’une compréhension aisée ». S’il y avait un écran au départ, artefact de projection et de séparation, le fumigène est bien autre chose : un animal, un être vivant, un milieu à partir de quoi tout est possible. Le premier personnage du film offrait une apparence en quelque sorte non genrée ; le second exhibe les clichés culturels des deux genres à la fois : moustache, barbiche, pendeloques et broches fleuries, ongles longs décorés. Plus un petit moule-bite en cuir. Un deuxième rideau est chassé, qui en découvre un t


(1) 10/18. Traduction Clara Malraux.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

(1) 10/18. Traduction Clara Malraux.